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Sommaire :

Quartz fumé du Mont-Blanc et radioactivité du granite (Bernard Poty, Elie Fournier et Eric Fournier)

La dissolution sous contrainte : moteur de la croissance des cristaux de quartz de type alpin? (Bernard Poty)

Premières approches de la Chimie minérale (F. Latil)

Joseph Paccard, naturaliste chamoniard (E. Asselborn)

Du sable aurifère à la source de l’Arveiron! (Horace Bénédict de Saussure)

Opale, jaspe et calcédoine dans le massif  (E. Asselborn)

Aurore Dupin dite George Sand (1804-1876) (E. Asselborn)

L’épidote (E. Asselborn)

Étude statistique des cristalliers prospectant le massif (M-L Astier – 2011)

Étude des questionnaires 2012 à l’intention des cristalliers et des chercheurs de cristaux (M-L Astier – 2012)

Les quartz tournés, gwindels et sucres (E. Asselborn)

La structure macromosaïque des quartz du mont-blanc (G. Dolino et P. Bastie)

Le quartz macromozaïque (Giancarlo Malinverni, 2006)

Panorama sur la minéralogie du Bassin Parisien (Alain Martaud, 2010)

Panorama sur la minéralogie des Vosges (Alain Martaud, 2012)

Le fer de l’Age du Bronze (Albert Jambon, 2017)

Lien vers les sommaires des bulletins du club (2002-2022)

Quartz « fumés » du Mont-Blanc et radioactivité du granite

Bernard Poty*, Elie Fournier** et Eric Fournier**

* 89 avenue de la Libération, 54840 Gondrevill. ** 56 chemin du Lavieu, 74400 Chamonix-Mont-Blanc.

6 juillet 2012

(Article publié dans le bulletin du Club de Minéralogie de Chamonix d’août 2012)

Les cristaux de quartz que l’on trouve dans les Alpes peuvent avoir des origines diverses. Certains proviennent de pegmatites hercyniennes (300 millions d’années environ), d’autres sont liés à la collision alpine, c’est à dire qu’ils ont été formés entre 35 millions d’années et le présent.

Ces derniers cristaux que l’on nomme de « type alpin » sont en général incolores. Quand ils sont colorés cela est dû le plus souvent à l’incorporation d’inclusions solides, comme par exemple la chlorite ou l’hématite.

Mais certains cristaux présentent une teinte de couleur brune plus ou moins intense qui n’est pas due à l’incorporation d’inclusions solides mais à la présence de centres colorés dans le réseau du cristal. Ces cristaux, dits de teinte « fumée », se rencontrent, dans les Alpes, exclusivement dans les trois massifs cristallins externes que sont le Mont-Blanc, l’Aar et le Gothard. Dans les autres régions (la Gardette, la Lauzière par exemple) on peut trouver, rarement, des cristaux fumés. Ces cristaux se sont formés généralement au voisinage de minéraux radioactifs.

1 – Les cristaux sont fumés en altitude et incolores dans le bas de la vallée.

Dans la vallée de Chamonix on trouve ainsi des cristaux incolores et des cristaux de teinte fumée. Ces derniers sont de loin les plus abondants.

Dans les années soixante le guide-cristallier Roger Fournier avait attiré l’attention de l’un de nous sur le fait que plus on monte dans le massif plus les quartz sont d’une teinte foncée. Ainsi au sommet de l’Aiguille Verte on peut récolter des cristaux extrêmement foncés, appelés par les cristalliers « morions ». En bas (aux Mottets, et à Argentière sous le col des Rachasses) les cristaux sont incolores.

L’explication de ce phénomène, à l’époque, ne paraissait pas évidente. Au début des années soixante les teneurs en Uranium et Thorium du granite du Mont-Blanc n’étaient pas connues, et il n’y avait pas de moyen aisé pour les mesurer. Par ailleurs on n’attachait pas assez d’attention au fait que dans le bas de la vallée on observe surtout des gneiss, voire des amphibolites, roches peu riches en éléments radioactifs, alors qu’en altitude affleure surtout du granite qui, on le sait maintenant, est très radioactif. Alors comme il était connu que les rayons cosmiques sont importants en altitude (n’y a-t-il pas au col du Midi à Chamonix un laboratoire pour l’étude des rayons cosmiques ?), l’idée que cette coloration était due à l’action des rayons cosmiques n’était pas illogique. Cette hypothèse sera discutée plus loin.

2 – La coloration artificielle des quartz par irradiation.

La coloration artificielle du quartz par irradiation est un phénomène bien connu (Frondel 1945). Il nécessite deux conditions. La première condition est la présence d’impuretés déterminées dans le réseau. La seconde est une irradiation qui active les centres colorés potentiels créés par l’incorporation de ces défauts dans le réseau du cristal.

Le contenu en impuretés a fait l’objet de nombreuses études. Nous citerons seulement celles qui concernent les cristaux des Alpes suisses et françaises. Bambauer (1961) et Poty (1969) montrent que les centres colorés les plus actifs sont constitués par le défaut Al-Li en remplacement d’un Si. Ce défaut constitue un centre coloré potentiel. Un électron de la liaison Al-O peut être arraché et gagner un autre site de la structure. Le déplacement de cet électron provoque alors une absorption qui se traduit par une couleur brune fumée (Ole Johnson, 2002). Il faut noter que la concentration en défauts peut être très faible (quelques défauts par million d’atomes de silicium) et être néanmoins efficace.

L’irradiation est l’activateur de ces centres colorés potentiels.

Plus la dose reçue par le réseau du quartz est élevée, plus la coloration est foncée. Mais la température, au dessus de 200°C, produit l’effet inverse de l’irradiation : les centres colorés se désactivent et le quartz devient incolore.

A – Lame de quartz de la Gardette, incolore naturellement et colorée par irradiation.

B – Lame de quartz de l’Aar de teinte fumée naturelle.

Dans les années soixante (Poty 1969) la coloration artificielle des quartz incolores de la Gardette était utilisée pour révéler les zones de croissance de ces cristaux incolores et particulièrement limpides. Elle était obtenue grâce un tube à rayons X très puissant.

Ce générateur utilisé pour “fumer” les cristaux de la Gardette afin de révéler leur structure interne, fonctionnait avec une anticathode de Tungstène sous 38 kV, 20 mA, et une fenêtre de sortie en Be. Ce tube était tellement puissant que lorsqu’il fonctionnait (malgré un blindage épais en plomb) personne n’avait le droit d’entrer dans la pièce tant il irradiait ! Si on utilise le programme Rad Pro Calculator pour calculer la dose à 10 cm on trouve, pour ce type de générateur de rayons X, une valeur voisine de 18 000 Gy/h. Les publications du CIPR donnent une valeur proche : 20 000 Gy/h (Pour les unités de radioactivité prière de se reporter aux annexe).

Les quartz de la Gardette ne développaient pas de coloration s’ils étaient irradiés seulement pendant une heure. Ils étaient donc irradiés systématiquement pendant deux heures. Une dose voisine de 40 000 grays* est donc nécessaire pour produire cette coloration artificielle.

3 – Teneurs en Uranium et Thorium du granite du Mont-Blanc.

Le granite du Mont-Blanc appartient à la classe des granites subalcalins potassiques.

C’est un granite qui se caractérise par une teneur en K2O élevée 3,3 à 7,0 %, et une teneur en CaO supérieure à 1,0 %. Ces granites sont d’origine profonde (au moins 45 km) et de haute température. Leur teneur en Uranium est très supérieure à la valeur moyenne de la croûte terrestre qui est de 3 à 4 ppm.

Ce type de granite est assez fréquent en France : on le rencontre dans les Vosges (granites des Crêtes et des Ballons), en Bretagne (granites de Flamanville et de Ploumanac’h), dans le Massif central (granites du Mayet-de-Montagne, de l’Aigoual, de Pont-de Montvert). Ces granites sont particulièrement radioactifs. L’Uranium et le Thorium se concentrent dans les minéraux suivants : titanite, thorite, allanite, parfois uraninite, apatite et zircon. Leurs teneurs en Uranium et en Thorium sont données dans le tableau ci dessous.

 UThen ppm (moyennes)
Granite du Mont-Blanc**1931(moyenne de 45 mesures)
Granite de Ploumanac’h1963 
Granite des Ballons (Vosges)1350 
Granite des Crêtes (Vosges)1840 

** : in Labhart et Rybart, 1974

4 – Mesures de la radioactivité des roches de la vallée de Chamonix.

De nouvelles mesures de radioactivité dans le massif du Mont-Blanc ont été effectuées pour ce travail. La radioactivité a été mesurée avec un scintillomètre, méthode beaucoup plus rapide et moins coûteuse que les analyses chimiques de Radium. Le Radium est en effet le descendant de l’Uranium (226Ra) et du Thorium (228Ra) qui irradie le plus intensément en rayons γ, parmi les descendants de l’Uranium et du Thorium.

L’appareil utilisé est le scintillomètre SPP2 construit par la société Saphymo-Stel sous licence CEA. Il mesure les rayons gamma. L’appareil indique les résultats en chocs/seconde, et ces valeurs peuvent être convertis en µröntgen/h (100cps = 25 µR/h).

Un scintillomètre est un appareil qui possède un cristal (ici d’Iodure de Sodium) dopé. Lorsqu’un photon percute ce cristal il y a production d’un électron. Le scintillomètre mesure donc le courant engendré par les rayons gamma.

Les rayons γ sont plus pénétrants que les rayons α ou β. Ils sont absorbés à 90% par 20 cm de béton, et quasi complétement par une épaisseur d’environ un mètre de béton. Par conséquent si l’on veut mesurer la radioactivité d’une roche dans des conditions comparables pour tous les échantillons il est souhaitable de poser le scintillomètre sur une surface plane, et que l’échantillon mesuré ait au moins la taille d’une demi-sphère d’un rayon de un mètre. Cela exclut ainsi les échantillons d’une taille inférieure qui donneront des valeurs plus faibles, ne pouvant pas être comparées aux autres, car inférieures d’un facteur non constant.

Ce scintillomètre a été utilisé pendant des décennies par les prospecteurs du Commissariat à l’Énergie Atomique et de la Compagnie Générale des Matières Nucléaires (COGEMA), et avec beaucoup de succès pour la recherche des gisements d’uranium. Il a été étalonné avec des sources de 60Cobalt. Pour l’Uranium et le Thorium, dont la réponse est assimilée à celle du Radium, peu différente de celle du 60Co, on se calera sur les analyses chimiques de granites. Ainsi un granite qui émet 250 chocs/seconde peut typiquement contenir 15 ppm d’Uranium et 50 ppm de Thorium.

Avant de faire des mesures on doit mesurer le bruit de fond de l’appareil (bruit dû à l’électronique). Si on fait une mesure dans l’air on va mesurer la radioactivité très faible due à l’air, le sol sous-jacent et les rayons cosmiques.

Dans la vallée de Chamonix, à Montroc, sur les dépôts glaciaires on mesure de 95 à 105 c/s.

Si on mesure la radioactivité d’une roche qui ne contient pas d’éléments radioactifs, comme la dolomie du Trias (dépôt chimique dans une mer peu agitée), on obtiendra une valeur encore plus faible puisque ni le sol, ni l’air, ni les rayons cosmiques n’apporteront leur radioactivité.

C’est ce qu’on peut constater sur les mesures effectuées.

Relevé de toutes les mesures en chocs/s SPP2

a – Chemin qui mène de Montroc à Trélechamps au dessus du tunnel SNCF.

– Dolomie du Trias (en place sous un chalet dans le bois) : 35 à 40,

* mesure dans l’air: 60,

* bloc de granite du Mont-Blanc, normal assez riche en biotite, écrasé : 105-110,

* bloc de granite à grain fin : 100-103.

b – Carbonifère de Tête Noire

Mesures effectuées sur l’ancienne route (celle du tunnel percé en 1827) :

– altitude 1115 m, arkose micacée assez grossière : 60-65-70-65-60-60,

– alt. 1125 m, arkose plus fine : 70,

– alt. 1150 m, arkose conglomératique 80-85-60-75-100-45-45-75-80-80-85,

– bruit de fond dans l’air sur la route (à un mètre) : 70,

– sortie amont du tunnel, schistes très tectonisés : 80-80,

c – Les Mottets

Galerie inférieure EDF (accès par la route désaffectée) :

* bruit de fond dans l’air à 1 m : 105,

* à gauche, gneiss à biotite très lité moyenne de 15 mesures 125 à 130 (une mesure monte à 160),

* à droite de la galerie, même gneiss à biotite : moyenne de 10 mesures 125 à 130 (1 mesure monte à 150),

* en descendant 200 m, mesure sur le sol : 95 à 100,

* vallée le long de la pente, polie par les glaces, beau gneiss : moyenne de quatre mesures : 85,

* 1ère épingle à cheveux : moyenne de 3 mesures : 95,

* puis gneiss très biotitique :135-140,

* gneiss très feldspathique : 110-120.

d – Aiguille du Midi (granite)

* Belvédère Rebuffat : 7 mesures, moyenne : 115,

* Galerie menant à la Vallée Blanche : 180-190-210-230-220-200-200-220-215-220-220-220, gros cristaux d’orthose horizontaux: 220-220-220-230-230-220-230-230-240-220-230-220-220-230-220-230-220-260-230-230-230, passée très feldspathique : 180,

Ces valeurs sont supérieures aux mesures effectuées sur les parois en dehors du tunnel. Il faut peut être considérer l’influence du granite au dessus et derrière la mesure (angle solide de 4 pi au lieu de 2 pi).

– Sommet 3842m : 150-160. Le granite est très feldspathique à grosses dents de cheval,

– Montée sur le Piton nord (pour rejoindre la descente) 160-180-150-160-170.

e – Plan de l’Aiguille

Mesures sur les gneiss affleurant en mamelons au pied des Aiguilles :

* gneiss feldspathiques : 120-120-115-120-130,

* zone broyée siliceuse alpine :130-140-150-150,

* gneiss : 125-125-130,

* passées quartzitiques : 100-100-125

f – Torrent de l’Arve au dessus du Tour

* gros bloc de granite à gros feldspaths (4m3) 125-130

* autre bloc de granite feldspathique : 120-125

* gneiss très noir : 110

* bloc de granite à dents de cheval, 5 mesures, moyenne : 150

* cailloutis de l’Arve : 160

* sables de l’Arve (avec probablement des minéraux lourds) : 155

g – Discussion des résultats

Le point zéro sera pris par la mesure de la radioactivité de la dolomie du Trias entre Montroc et Trélechamps. Cette valeur de
37 c/s, considérée comme le bruit de fond de l’appareil de mesure, sera donc retranchée de toutes les mesures.

Gneiss

Dans ces conditions les gneiss des Mottets ont une radioactivité moyenne de 122 c/s moins 37 c/s soit 85 chocs/sec

Gneiss du Plan de l’Aiguille : 11 mesures de 100 à 130. Moyenne : 119 c/s soit 119-37 : 82 c/s. Passée mylonitique alpine : 130-140-150-150 soit 142,50 – 37 : 105,50 cps

Granite du Mont-Blanc

Aiguille du Midi : Galerie conduisant vers la Vallée Blanche : c’est là que le granite est le plus radioactif. 34 mesures s’étalant de 180 (passées très feldspathiques) à 260 c/s. La moyenne des mesures est de 222 c/s ce qui fait 222- 37 : 185 c/s pour la radioactivité de ce granite.

Belvédère Rebuffat : granite assez peu radioactif : 7 mesures à 115 c/s

Sommet (3842m) : granite très feldspathique à gros feldspaths potassiques : 2 mesures : 150 et 160 c/s soit 155-37 : 118 c/s

Montée sur le piton nord : 5 mesures de150 à 180. moyenne : 164 c/s, soit 164-37 : 127 c/s

Les mesures sur le granite du Mont-Blanc donnent :

– dans le granite une dose de 185 et 122 chocs/seconde au SPP2 ce qui correspond à 0,08 et 0,06 mRad/h soit 8 et
6 x 10 -4 mGy/h.

5 – Dose reçue par les cristaux depuis leur formation.

La croissance des cristaux de quartz s’est effectuée essentiellement vers 18 millions d’années (Poty et Cathelineau 1999). A cette date le massif du Mont-Blanc était en train de remonter à la surface, à une vitesse qui a pu varier mais qui, pour notre propos, sera considérée constante. La température des cristaux à cette époque était en moyenne de 380 °C. La radioactivité du granite ne pouvait donc pas activer les centres colorés potentiels car ils se désactivaient aussitôt à cause de cette température élevée.

A quelle température les centres colorés ne se désactivent-ils plus ? Ils se décolorent dès 200°C. En l’absence d’expériences précises de décoloration on admettra que les centres colorés ne se désactivent plus en dessous de 150°C.

Dans ce cas l’accumulation efficace de la dose radioactive dans les cristaux aura duré 150/380 x 18 ≈ 7 millions d’années, soit 7 x 106 années.

Dans une année il y a 8760 heures. Les cristaux dans le granite auront donc reçu une dose moyenne de : 7 x 10-4 mGy/h x 8760 heures x 7 x 106 ≈ 43 000 Gy. Certains ont reçu plus, d’autres moins, car la répartition des minéraux radioactifs dans le granite n’est pas homogène. Cela explique que certains cristaux de quartz soient très foncés, d’autres plus clairs.

Dans les gneiss l’activité mesurée est en moyenne de : 83 c/s, ce qui correspond à une dose de 0,04 mRad soit 4 x 10-4 mGy/h au lieu de 7 x 10-4 mGy/h pour les cristaux dans le granite.

Les cristaux qui ont poussé dans les gneiss ont donc reçu une dose de rayons gamma égale à 4/7 de celle reçue par les cristaux qui ont poussé dans le granite, soit : 43 000 x 4 / 7 ≈ 25 000 Gy. Il a été noté plus haut que les cristaux de la Gardette n’étaient pas colorés après une irradiation de cette valeur.

Il en est de même pour les cristaux du Carbonifère de Tête noire (cristaux gris associés à la brookite), qui ne ne sont pas « fumés ».

6 – L’hypothèse de l’action des rayons cosmiques sur la coloration des cristaux.

Les rayons cosmiques sont constitués de particules chargées provenant du milieu interstellaire. Ils sont formés à 99% de protons et de noyaux d’Hélium. Leur énergie est énorme : en moyenne un milliard d’électrons volts, mais ils sont extrêmement peu pénétrants (de quelques micromètres à quelques dizaines de micromètres).

S’il n’est pas facile d’obtenir dans la littérature les énergies reçues par les matériaux irradiés par les rayons cosmiques, on obtient par contre les doses efficaces en μSievert/h. Comme les rayons cosmiques sont constitués à 85% de protons, et comme, dans le calcul des doses, le facteur de qualité pour le proton est égal à 5, il suffira de diviser les doses par cinq pour connaître l’énergie absorbée. Ces doses s’élèvent avec l’altitude comme le montre le tableau suivant (données UNSCEAR et IRSN) :

– 10 000m (altitude des avions long courriers) : 5 µSv/h

– 3900m (La Paz) : 0,23 µSv/h

– 3700m (Lhassa) : 0,20 µSv/h

– 2250 m (Mexico) : 0,08 µSv/h

– niveau de la mer : 0,03 µSv/h

Si l’on considère une altitude de 2500 m la dose reçue sera de 0,1 µSv/h.

Les rayons cosmiques étant très peu pénétrants leur action ne peut pas être effective à l’intérieur de la cavité qui contient les cristaux. Elle ne pourrait même pas, non plus, colorer les cristaux dans leur masse mais seulement sur les premiers micromètres à partir des faces.

Pendant combien de temps un cristal reste à l’affleurement avant que l’érosion ne le détruise ? Nous estimerons que cette durée peut avoisiner dix mille ans dans le massif du Mont-Blanc, hormis dans les régions où l’érosion est particulièrement agressive.

Dans ces conditions la dose reçue par un cristal de quartz sera de : 10-7 Gy/h/5*8760*10 000, soit 2 Gy pour une altitude de 2500 m et de 4 Gy pour une altitude de 4000 m. Nous voyons que nous sommes quatre ordres de grandeur en dessous de l’énergie nécessaire pour colorer les cristaux de quartz. L’hypothèse de l’influence des rayons cosmiques sur la coloration des cristaux de quartz ne paraît donc pas recevable.

7 – Conclusion :

Les cristaux de quartz qui ont poussé dans le granite du Mont-Blanc sont de couleur « fumée », et ce phénomène est dû à la présence dans le granite de minéraux radioactifs qui bombardent de rayons γ ces cristaux depuis leur formation. L’énergie reçue par les centres colorés potentiels du réseau du quartz n’a pu s’accumuler que lorsque la température du granite est passée, durant la surrection, au dessous de 150°C. On voit ainsi que des débits de dose très faibles (0,7 µGy/h, c’est à dire seulement 2,6 fois supérieure à la radioactivité naturelle moyenne en France) appliqués sur le même matériau pendant des durées géologiques (quelques millions d’années) conduisent à des doses reçues très élevées.

Les cristaux qui ont poussé dans les gneiss ou les amphibolites sont incolores car ils ont reçu une dose inférieure à celle qui est nécessaire pour leur coloration. Il en est de même pour les cristaux situés dans le Carbonifère (Tête noire).

Remerciements. D’abord à Henri Roche (Service de protection contre les rayonnements du CEA-Saclay) qui a fourni de précieuses indications pour l’évaluation de la dose reçue par les cristaux de quartz sous irradiation X, et pour l’interprétation des mesures au scintillomètre, ensuite à Francis Saupé et Frédéric Latil pour leur lecture critique du manuscrit.

Références bibliographiques:

Bambauer H.U., 1961 – Spurenelementgehalte und G-Farbzentren in Quarzen aus Zerrklüften der Schweizeralpen. Schweiz. mineral. petr. Mitt. , 41, ss. 335-369.

Cuney, M. 2009 – The extreme diversity of uranium deposits. Miner. Deposita, 44, 3-9

Frondel, C. 1945 – Effect of radiation on the elasticity of quartz. American Mineralogist, 30, pp. 432-446.

IRSN, Bilan de l’état radiologique de l’environnement français en 2006- Synthèse des résultats des réseaux de surveillance de l’IRSN.

Johnson, O. 2002 – Guide Delachaux des minéraux. Delachaux et Niestlé, 438 p.

Labhart, T.P. et Rybach, L. 1974 – Granite und uranvererzungen in den Schweizer Alpen. Geolog. Rundschau, 63-1,135-147.

Pagel, M. 1979 – Particularités géochimiques uranium, thorium dans les complexes subalcalins potassiques : exemple du massif des Ballons (Vosges méridionales) CR Ac Sci. t.289, D, 53-56,

Poty, B. (1968) – The growth of lamellar quartz on the example of the La GardetteQuartz vein (Isère, France) Papers and Proceedings of the fifth general meeting, International Mineralogical Association. The Mineralogical Society, London, XV, 350 p. pp. 54-62.

Poty. B. 1969 – La croissance des cristaux de quartz dans les filons sur l’exemple du filon de la Gardette (Bourg d’Oisans) et des filons du massif du Mont-Blanc. Sc. de la Terre, Mem. 17, 162 p.

Poty B. et Cathelineau M. 1999 – La formation des cristaux dans les fentes alpines du massif du Mont-Blanc. Le Règne Minéral. Hors série V, pp. 19-21.

Rannou, A. in Bernier M.O .2010 – Principales sources d’exposition et doses délivrées pendant l’enfance. IRSN

Annexes :

1 – La radioactivité

Les définitions des différentes unités utilisées pour mesurer la radioactivité sont rappelées ici. Ces unités ont en effet varié avec le temps et l’évolution des techniques de mesure.

La demi-vie d’un élément radioactif est le temps qu’il faut pour que la moitié de sa masse disparaisse (en se transformant en énergie). Plus la demi-vie d’un élément est courte plus il disparaît rapidement, et en conséquence plus grande est son activité.

Les corps radioactifs peuvent émettre trois types de rayons : les rayons alpha qui sont des noyaux d’Hélium, les rayons bêta qui sont des électrons et les rayons gamma qui sont un rayonnement de même type que la lumière visible ou les rayons X.

L’uranium 238 (99,3% de l’uranium que l’on trouve dans la nature) est très peu radioactif, car sa demi-vie est très grande : 4,5 milliards d’années c’est à dire l’âge de la Terre. L’Uranium 238 n’est pas un émetteur gamma, mais parmi ses descendants on trouve le Radium 226 dont la demi-vie est courte : 2300 ans. Le Radium est donc très radioactif. C’est cet élément que les prospecteurs d’uranium recherchent avec un scintillomètre capable de détecter les rayons gamma.

2 – Les unités de mesure de la radioactivité :

Les unités de mesure de la radioactivité sont complexes, et malheureusement affaire de spécialistes. Aussi ce rappel cherche à éclairer un peu le lecteur.

Le becquerel (Bq) est l’unité qui mesure l’activité d’une source radioactive. Un becquerel correspond à une transformation naturelle par seconde d’un atome radioactif. Cette unité représente des activités tellement faibles comparées aux activités habituellement rencontrées dans la nature que l’on emploie généralement des multiples : 1GBq : 1 Gigabecquerel ou un milliard de becquerels, etc …

Mesures d’exposition:

La dose mesure le rapport entre l’énergie déposée dans un petit élément et la masse de cet élément. C’est une mesure précise, mais il a fallu attendre des moyens modernes pour pouvoir faire ce type de mesures. Auparavant, on utilisait une grandeur différente, beaucoup plus facile à mesurer, l’exposition, qui a été formellement définie dès 1928, comme le rapport entre la charge déposée dans un centimètre cube d’air et la masse (0,001293g) de ce volume d’air.

Le scintillomètre utilisé dans ce travail, le SPP2 de Saphymo-Stel, mesure l’exposition et la traduit en chocs/seconde. Et il présente un abaque de conversion avec une très ancienne unité : le röntgen (R) qui est également une unité d’exposition (1 R = induction d’une charge de 1 coulomb dans une masse d’air de volume 1 cm3 ). Avec le scintillomètre SPP2 100 cps = 25 µR/h.

Exprimé normalement en coulombs/Kg, et connaissant l’énergie moyenne nécessaire à la création d’une paire d’ions dans l’air (environ 33 eV), le röntgen peut être converti en J/kg. Heureusement il se trouve que, à environ 10% près, le röntgen est équivalent au rad.

La correspondance pour l’énergie du 60Co est d’environ : 1 R = 1 rad (rd).

La dose représente l’énergie reçue par la matière par unité de masse, elle est avant tout une valeur locale : c’est la concentration massique du dépôt d’énergie. Dans le système international d’unités on mesure la dose en grays, mais le rad est encore très utilisé aux USA : 1 gray : 100 rads

La dose efficace mesure les effets des rayonnements radioactifs reçus par un être vivant. On ne l’a pas utilisée dans ce travail, sauf pour les rayons cosmiques, mais il est utile de la citer car c’est d’elle que parlent tous les journaux qui traitent de la radioprotection et des accidents nucléaires. Ainsi un examen radiographique médical conduit à une dose de 0,1 à 8 µSv, un traitement radiothérapique entraîne une dose pouvant aller de 10 à 100 Sv. La dose équivalente représente le produit de la dose par un facteur de qualité qui dépend du type de rayonnement ionisant : 1 pour les rayons X et les électrons, 5 pour les protons, etc… Elle s’exprime en sievert (Sv). Dans le système international la dose est exprimée en grays par seconde (Gy/s), et le débit de dose efficace, en sieverts par seconde (Sv/s) : En radioprotection, le débit de dose efficace est le vrai nom de ce qu’on appelle dans le langage courant niveau de radioactivité : le débit de dose représente le rapport entre la dose radiative et la durée d’exposition.

Signification des sigles utilisés :

IRSN : Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire

CIPR : Commission internationale de protection radiologique

UNSCEAR : United Nations Scientific Committee on the Effects of Atomic Radiation


La dissolution sous contrainte : moteur de la croissance des cristaux de quartz de type alpin ?

par Bernard Poty

(article publié dans le Bulletin du Club de Minéralogie de Chamonix d’août 2008)

Les cristaux des chaînes de montagne sont très différents de ceux qu’on trouve associés à la fin de la cristallisation des granites (pegmatites) ou à d’autres phénomènes géologiques. Ce sont les géologues russes (en particulier G.G. Laemmlein) qui, dans les années trente, ont découvert que les cristaux de l’Oural sub-polaire étaient comparables aux cristaux décrits dans les Alpes. Ils ont alors inventé le terme de « cristaux de type alpin » pour ce type de minéralisation. Il est classiquement admis que ces gisements sont associés à un métamorphisme et que la matière nécessaire à la croissance des cristaux provient essentiellement de l’encaissant immédiat de la fente.

Quelles sont les causes de ces différences entre cristaux de type alpin et cristaux d’origine hydrothermale, c’est-à-dire cristaux formés à partir de solutions pouvant venir de loin ?

La réalisation du Musée des Cristaux de Chamonix a conduit trois chercheurs (Josef Mullis, Michel Cathelineau et moi-même) qui avaient l’habitude de travailler chacun de leur côté, soit pour des raisons de distance soit pour des raisons de technique, à confronter leurs analyses, leurs interprétations et je dirais aussi leurs convictions… Il fallait en effet, pour rédiger le texte des panneaux, se mettre d’accord sur un texte! Et ce fut un processus lent qui a évolué durant la réalisation de ces panneaux (plus de deux années).

Pour qu’un cristal pousse, il faut que la solution qui le baigne soit sursaturée par rapport à lui. On peut obtenir ce phénomène de plusieurs façons. Dans les conditions prévalant lors de la formation des cristaux au Mont-Blanc (350 à 420°C et 2,5 à 4 kbar) cette sursaturation peut être obtenue par différents processus : baisse de température, baisse de pression, modification des propriétés physico-chimiques du fluide ou transformation minéralogique.

Au Mont-Blanc, comme dans l’Aar et le Gothard, on n’observe pas de transformation minéralogique associée à la croissance du quartz. La baisse de température est évidente durant la remontée du bâti cristallin. Jusqu’à présent tous les auteurs donc ont privilégié la baisse de température pour expliquer la croissance des cristaux de quartz. C’est l’option prise par Stalder (1963), Poty (1969), Mullis (1996). C’était notre choix lorsque nous avons commencé à rédiger les panneaux du musée. La rédaction, dans sa version de juin 2005, du panneau sur la croissance des cristaux, était libellée ainsi : « avec la progression de la collision les massifs se soulèvent et s’érodent. La température et la pression s’abaissent entraînant la croissance des cristaux ». A cette époque nous avons donc privilégié la baisse de la température comme moteur de la croissance. Or cette baisse de température est lente à l’échelle de la surrection du massif (on passe de 400°C à 10°C en 20 millions d’années. Cela conduit à des vitesse de croissance des cristaux extrêmement lentes, et on peut même considérer qu’un tel mécanisme peut difficilement conduire à la formation de cristaux s’il n’y a pas de transferts de fluides venant d’ailleurs.

En travaillant à Chamonix, dans les années soixante, j’avais remarqué, comme tous mes prédécesseurs, que les cristaux commencent à pousser quand les fentes s’ouvrent, c’est à dire quand, durant la surrection du massif, le comportement mécanique du granite passe du stade ductile (plastique) au stade fragile (cassant). J’avais alors distingué au Mont-Blanc deux générations de quartz : un quartz macromosaïque* et une génération tardive associée à de la muscovite, qui peut être considérée comme contemporaine des améthystes. J’avais bien remarqué (en particulier dans l’arête Charlet Straton de l’Aiguille d’Argentière et dans les rognons au pied de la face Nord de l’Aiguille de Pierre Joseph) la formation d’un quartz de structure lamellaire* un peu comme à La Gardette, se surimposant au quartz macromosaïque. Mais je n’avais pas assez d’observations pour généraliser le phénomène à tout le massif du Mont-Blanc. Josef Mullis lui, par ses nombreuses observations dans les massifs de l’Aar et du Gothard, en a fait une génération distincte (Q2) car il l’a observée en de nombreux endroits et toujours postérieurement au quartz macromosaïque (Q1). En examinant les cristaux de l’Aar que Mullis a donnés au musée de Chamonix j’ai alors découvert que son quartz Q2 était très proche du quartz lamellaire que j’avais observé, et se situait, comme au Mont-Blanc, entre le quartz macromosaïque Q1 et les améthystes Q3. Ses observations dans les Alpes centrales de Suisse peuvent donc être généralisées au Mont-Blanc.

Fig. 1 : Quartz lamellaire (section irradiée) La Gardette.

Fig. 2 : Quartz macromosaïque (section irradiée). Aiguille de Pierre Joseph, rognons au pied de la face Nord.

Fig 3 : Quartz lamellaire (section irradiée). Aiguille d’Argentière, arête Charlet Straton.

Fig. 4 : Quartz Q1(en bas à gauche) et Q2 (haut et à droite).

La dissolution sous contrainte : moteur de la croissance des quartz Q1 et Q2?

Cette généralisation change d’emblée notre interprétation de la formation des cristaux de quartz. Car si une telle succession de phases de croissance se reproduit dans la chaîne à des endroits distants d’environ 120 km cela ne peut pas être lié à une baisse de température. Cela est à relier à un phénomène tectonique agissant simultanément sur de grandes portions de la chaîne alpine.

La poussée de l’Afrique sur l’Europe subit des crises : les crises géodynamiques. La poussée de l’Afrique est probablement relativement continue, mais les vitesses peuvent varier. Les tensions s’accumulent puis se résolvent par des phénomènes brutaux, les séismes, d’où la structure lamellaire. A la Gardette le quartz lamellaire a clairement pour origine le rejeu de la fracture dans laquelle le filon s’est formé. Ce rejeu est bien visible quand on examine la structure du filon de quartz laiteux séparant les géodes.

Il y aurait alors plusieurs crises majeures auxquelles on peut rattacher la croissance des différentes générations de quartz dans les massifs centraux alpins : vers 20-22 Ma (Ma = millions d’années) pour la génération de quartz Q1 (quartz macromosaïque) Mullis (1996), vers 18-20 Ma pour la génération de quartz Q2 (quartz en partie lamellaire) Mullis (1996), Poty et Cathelineau (2000), vers 15 Ma pour la génération de quartz Q3 (quartz à muscovite et améthyste) Leutwein et al (1970), Mullis (1996). En Dauphiné il y aurait une quatrième (?) génération de cristaux vers 5 Ma, datée par le Th des monazites du Plan du Lac, dans le vallon du Vénéon (Bertrand et al à paraître). Ces 5 Ma correspondent à la crise Messinienne : fermeture du détroit de Gibraltar et assèchement de la mer Méditerranée.

D’autres auteurs (en particulier des chercheurs russes travaillant sur les gisements de quartz en Oural sub-polaire) ont déjà privilégié la dissolution sous contrainte du quartz des roches comme moteur de la croissance des cristaux de quartz dans les cavités. Marquer (1990) a montré que les mylonites du Gothard (roches écrasées en profondeur) perdaient leur quartz. Les Chamoniards qui se rendent à la douane de Chatelard peuvent le vérifier aisément dans le dernier tournant avant la douane : le schiste à chlorite bien visible en bordure de la route est une mylonite du granite de Vallorcine qui affleure un peu plus haut. Il y a donc eu une importante perte de silice. Gratier (1993) a montré que la dissolution sous contrainte était un moteur important de l’évolution minéralogique des roches.

La poussée de l’Italie (morceau détaché de l’Afrique) sur l’Europe engendre une pression horizontale σ1 (Sigma 1) qui est supérieure à la pression engendrée par le poids des roches sus-jacentes σ2. La pression du fluide est égale ou inférieure (si le fluide peut s’échapper, ce qui est généralement le cas car la roche n’est jamais totalement étanche aux fluides) à la plus faible pression σ3.

Nous ne connaissons pas la différence entre σ1 et σ2 lors de la formation des cristaux il y a environ 20 millions d’années. Mais le seul fait que les fentes se forment montre qu’elle existe, car l’ouverture des fentes est une conséquence directe de l’existence de ce tenseur des contraintes*.

Par ailleurs les études actuelles en mécanique des roches montrent que cette différence peut aller de 20% à plus de 100%. Ainsi l’ANDRA* a mesuré dans les forages de Meuse une différence de 20% entre σ1 et σ2, due à la poussée alpine (observable jusqu’en Meuse à l’heure actuelle, soit à 250 km du front alpin !).

Le quartz synthétique, à Annecy (société Gemma) pousse dans des solutions de soude, à environ 370°C et 1600 bars avec une sursaturation de l’ordre de 1200 ppm (Laudise et Ballman 1961). Les beaux cristaux synthétiques, donnés par cette société au musée des cristaux de Chamonix, n’ont mis qu’un peu plus d’un mois pour se former.

Au Mont-Blanc, avec une pression de fluides de 3 kbar (σ3) et une pression solide de 5 kbar (σ1 : pression des grains de quartz du granite l’un contre l’autre) la sursaturation (dans l’eau pure) sera proche de 1400 ppm donc supérieure à celle des autoclaves d’Annecy (Walther et Helgeson 1977). Dans ces conditions la croissance des cristaux du massif a pu être aussi rapide que celle des cristaux synthétiques à savoir pour les petits cristaux environ un mois, et pour les gros quelques années.

Fig. 5 : Tenseurs des contraintes* durant les trois phases de croissance du quartz (Q1, Q2 et Q3) . Musée des cristaux de Chamonix – 2006.

Fig. 6 : Solubilité du quartz en fonction de P et T, avec position des trois phases de croissance (Q1, Q2 et Q3) des cristaux de quartz. Musée des Cristaux de Chamonix – 2006. Valeurs tirées de Walther et Helgeson 1977.

Altération du granite autour des fentes.

Ce nouveau modèle de croissance du quartz permet aussi d’expliquer un phénomène jusqu’à présent mal compris : la formation de la zone altérée que l’on observe fréquemment (mais pas toujours) autour des fentes. Il y a en effet une contradiction entre la dissolution du quartz dans le granite au contact des fentes et la croissance des cristaux dans la cavité : si le quartz se dissout dans le granite, la solution est sous saturée en silice et le quartz ne peut pas pousser dans la cavité qui lui est contiguë.

Pour qu’un granite perde son quartz dans les conditions du métamorphisme alpin rétrograde au Mont-Blanc, cas des zones altérées, il faut que les solutions qui arrivent dans la fente soient plus froides que les roches entourant la fente. Dans ce cas le quartz de l’encaissant va se rééquilibrer avec le fluide sous saturé et se dissoudre.

Quand une fente s’ouvre un appel instantané de fluides se produit. Ces fluides proviennent vraisemblablement des roches sédimentaires sous-jacentes (le lias du synclinal de Chamonix) qui sont plus froides que le massif granitique. Elles sont plus froides parce que les réactions de transformation des argiles consomment de l’énergie. C’est le contraire pour le granite, car les réactions d’hydratation des minéraux du granite dégagent de l’énergie.

Ces fluides vont se réchauffer très vite au contact du granite, mais ils n’auront pas le temps de se rééquilibrer chimiquement avec lui. C’est quand ils séjourneront dans la fente qu’ils vont se rééquilibrer avec le granite encaissant, en particulier venir à l’équilibre avec le quartz du granite. Cela va entraîner la dissolution du quartz du granite autour de la fente.

Mais les contraintes mécaniques se maintiennent. Elles vont provoquer la dissolution du quartz aux contacts entre les grains. Cette solution au contact des grains, à l’équilibre avec le quartz pour une tension σ1, est sursaturée vis à vis du quartz dans le fluide de la cavité qui est à une pression égale ou inférieure à σ3, donc très inférieure à la pression solide σ1. La silice dissoute va donc migrer du granite vers la cavité, soit par diffusion dans la phase fluide, soit par transport si le fluide est mobile. Ce mécanisme entraîne la croissance du quartz dans la cavité.

Ce modèle propose donc que l’altération du granite autour des fentes précède de peu la croissance des cristaux. Mais il est clair aussi que les fentes sont des lieux préférentiels de passage des fluides et que ces fluides peuvent circuler pendant de longues périodes. L’altération du granite autour des fentes peut ainsi ne pas être strictement contemporaine de la croissance des cristaux.

Croissance des cristaux comme conséquence d’une réaction minéralogique.

La croissance de la fluorite a une autre origine. Durant la surrection du massif la température baisse. Cela entraîne la déstabilisation de deux minéraux : le feldspath plagioclase et la biotite. Le feldspath calco-sodique (plagioclase) se transforme en albite (feldspath sodique), en libérant du calcium, et la biotite se transforme en chlorite en libérant le fluor qu’elle contient. Ce sont donc deux transformations minéralogiques concomitantes qui sont à l’origine de la croissance de la fluorite, alors que les quartz Q1 et Q2 poussent sans qu’aucune transformation minéralogique ne soit associée. Bien sûr, au Mont-Blanc, ceci ne repose que sur une seule analyse de biotite, et d’autres analyses seraient utiles pour confirmation, mais le schéma est plausible.

On peut également considérer que le quartz Q3 résulte de la muscovitisation du feldspath potassique suivant la réaction :

3 KAlSi3O8 + 2 H+ = KAl2 AlSi3O10(OH)2 + 6 SiO2 + 2 K+

Comme cette réaction n’est pas très importante dans le massif, sauf dans certaines zones comme le glacier du Tour Noir ou les Courtes, cela explique que les quartz Q3 (quartz à muscovite et améthystes) soient peu abondants dans le massif du Mont-Blanc.

Conclusions.

Ce modèle de croissance du quartz par différence de pression entre les solides et le fluide (dissolution sous contrainte) paraît plausible pour la croissance des cristaux de quartz des Alpes françaises et suisses (améthystes et quartz à muscovite exceptés). Il n’est probablement pas unique. En effet comment expliquer que dans certains gisements d’Oural sub-polaire, comme celui de Dodo, on trouve des quantités considérables de brookite, ou, comme à Puiva, d’axinite ? Il faudrait, pour comprendre de telles anomalies, connaître la composition des roches encaissantes. A moins d’une particularité extraordinaire de l’encaissant, dans des cas comme Dodo ou Puiva on ne peut pas exclure que le titane (brookite), ou le bore (et d’autres éléments nécessaires à la croissance de l’axinite), proviennent de plus loin. En bref l’intervention d’un certain hydrothermalisme en association avec les processus de type alpin, qui sont essentiellement de nature métamorphique, est possible.

Les conséquences de ce nouveau modèle de formation des cristaux de quartz dans les Alpes sont les suivantes :

1 – la croissance des cristaux de quartz des générations Q1 et Q2 est le résultat de crises géodynamiques, et n’est pas la conséquence directe de la baisse de température lors de la remontée du bâti en surface. Cela veut dire que les cristaux poussent à des périodes déterminées et non pas durant tout le temps de la remontée du bâti. L’hypothèse que j’avais émise à une époque que des cristaux pouvaient croître à l’heure actuelle en profondeur n’est pas confirmée par ce modèle.

2 – la durée de croissance des cristaux peut être relativement rapide. Quelques mois pour les plus petits cristaux, quelques années pour les plus gros, avec de longs épisodes durant lesquels il ne se passe rien. Elle va dépendre essentiellement du stress imposé aux roches par la collision.

3 – il faudra de nouvelles et nombreuses mesures d’âge pour connaître avec précision l’âge de ces crises géodynamiques.

4 – La croissance des cristaux dans les fentes relève de phénomènes multiples : stress pour l’essentiel de la production du quartz, transformations minéralogiques pour la fluorite et les améthystes. Les chercheurs russes considèrent que les géodes de quartz de l’Oural sub-polaire ont également été le siège de phénomènes hydrothermaux. Cela signifie que le matériel qui a permis la croissance des minéraux peut provenir non seulement de l’encaissant immédiat, mais de régions plus lointaines.

Enfin il n’est pas exclu que d’autres processus, non identifiés à ce jour, puissent également entrer en jeu, et au rang de celles-ci la composition chimique des solutions aqueuses.

Références :

– Gratier J.P. (1993). Le fluage des roches par dissolution recristallisation sous contrainte, dans la croûte supérieure. Bull. Soc. Géol. France. T. 164, n°2, pp.267-287.

– Laudise, R.A. and Ballman, A.A. (1961). The solubility of quartz under hydrothermal conditions. J.Phys.Chem., 65: 1396-1400.

– Leutwein F., Poty B., Zimmermann J.L. (1970). Age des cavités à cristaux du massif du Mont-Blanc. C. R. Acad. Sci. Paris, t.271, pp.156-158.

– Marquer, D. 1990 : Structure et déformation alpine dans les granites hercyniens du massif du Gothard (Alpes centrales suisses). Eclogae Geologicae Helvetiae 83, 77-97.

– Mullis, J. (1996). P-T-t path of quartz formation in extensional veins of the Central Alps. Schweiz. Miner. Petr. Mitt. 76, pp. 159-164.

– Poty, B. 1969. La croissance des cristaux de quartz dans les filons sur l’exemple du filon de la Gardette et des cristaux du massif du Mont-Blanc. Sciences de la Terre. 1969.

– Poty B. et Cathelineau M. (2000). La formation des cristaux dans les fentes alpines du massif du mont-Blanc. Le Règne Minéral Hors Série V . pp. 19-21.

– Stalder H.A. (1963) Thèse. Schweiz. Miner. Petr. Mitt.

– Walther J.V.and Helgeson H.C. 1977. Calculation of the thermodynamic properties of aqeous silica and the solubility of quartz an its polymorphs at high pressures and temperatures. Amer. Journ. of Science. Vol. 277, p. 1315-1351.

Notes (*) :

ANDRA : Agence Nationale pour la Gestion des Déchets Radioactifs.

Lamellaire : Constitution des cristaux par enveloppes successives .

Macromosaïque : aspect macroscopique des cristaux de quartz de type alpin, qui sont formés de sub-individus pas tout à fait parallèles. Ce phénomène a été observé dès les premières études cristallographiques du quartz.

Tenseur des Contraintes : représentation utilisée en mécanique pour définir l’état de contrainte d’un milieu. La contrainte s1 est la plus forte, s3 la plus faible et s2 est une contrainte intermédiaire. Les contraintes sont perpendiculaires entre elles. La pression des fluides est soit égale à s3 soit inférieure.

– 100 MPascals = 1 kbar = 1 tonne/cm2 (approximativement)

– Ma : million d’années

Illustrations :

Fig. 1 : Quartz lamellaire* La Gardette

Fig. 2 : Quartz macromosaïque*, rognon de l’Aiguille de Pierre Joseph.

Fig. 3 : Quartz lamellaire, Aiguille d’Argentière (arête Charlet Straton)

Fig. 4 : Quartz lamellaire, rognons en face Nord de l’Aiguille de Pierre Joseph.

Fig. 5 : Tenseurs des contraintes* durant les trois phases de croissance du quartz (Musée des cristaux de Chamonix – 2006)

Fig. 6 : Solubilité du quartz en fonction de P et T, avec position des trois phases de croissance des cristaux de quartz. (Musée des Cristaux de Chamonix – 2006). Valeurs tirées de Walther et Helgeson 1977.


Premières approches de la Chimie minérale

(Par F. LATIL, bulletin du club n° 53, août 2002)

Déchiffrer une formule chimique

1) petit vocabulaire

Les divers composants d’une espèce minérale donnée transparaissent dans l’énoncé de sa formule chimique. Comment la déchiffrer ? Essayons d’en avoir les clefs !

Atomes, ions, liaisons, etc., un bref glossaire

Atome, du grec a = privatif et tomos = division, atomos = qu’on ne peut diviser. Particule d’un élément chimique qui forme la plus petite quantité capable de se combiner. Un atome se compose d’un noyau formé de neutrons et de protons, autour du noyau gravitent des électrons.

Neutron, particule élémentaire électriquement neutre, constituant très instable du noyau des atomes.

Proton, particule élémentaire chargée d’électricité positive, constituant stable du noyau des atomes. Le nombre de protons est égal au nombre d’électrons.

Électron, particule élémentaire chargée d’électricité négative qui gravite autour du noyau de l’atome. Le nombre d’électrons est égal au nombre de protons.

Particule élémentaire, “ chacun des constituants de la matière pour lesquels toute notion de structure, en termes de composant, paraît, dans la théorie actuelle, illusoire (électron, proton, neutron, etc.) « .

Ion, atome ayant gagné ou perdu un ou plusieurs électrons. Dans la nature il est fréquent que les atomes soient ionisés et donc porteurs d’une ou plusieurs charges électriques.

Cations, ion de charge électrique positive.

Anions, ion de charge électrique négative. Il y a peu de véritables anions, ce sont l’oxygène (O), le chlore (Cl), le fluor (F), le soufre (S) l’arsenic (As), l’antimoine (Sb), l’iode (I), le brome (Br). Certains d’entre eux peuvent être des cations dans certaines formules de minéraux

Groupes anioniques, l’oxygène outre son rôle d’anion simple pour les minéraux de la classe des oxydes, peut se lier fortement avec des atomes métalliques et former ainsi des sortes de “ briques négatives ”, les groupes anioniques. Ces derniers adoptent une configuration géométrique qui leur est propre, généralement un tétraèdre.

Charge électrique, quantité d’électricité portée par un corps. La charge électrique globale d’un corps doit être nulle, c’est-à-dire équilibrée.

Liaisons, « la structure des cristaux est conditionnée par la façon dont les atomes se lient les uns aux autres »

Liaisons ioniques, avec échanges d’électrons entre anions et cations ; empilement des atomes les uns sur les autres ; les anions grossissent en se chargeant des électrons capturés au détriment des cations qui diminuent de taille. L’espace est occupé de la façon la plus économique par les gros anions, dans les interstices libres se logent les petits cations.

Liaisons covalentes, les atomes partagent équitablement leurs électrons, les arrangements obtenus sont caractérisés par des tétraèdres et des octaèdres.

Liaisons métalliques, mise en commun de tous les électrons ; assemblages assimilables à des sphères.

Courant électrique : dans les métaux, sous l’influence d’une « pompe à électron » (dynamo, alternateur, batterie) on peut faire se déplacer les électrons ; c’est « le courant électrique »…


Joseph Paccard, naturaliste chamoniard

(Par Éric Asselborn.)

Je vous présente ici la biographie du premier naturaliste connu de Chamonix ; on connaît avant lui le nom de quelques cristalliers, mais manifestement Joseph Paccard est le premier chamoniard cultivé dont l’histoire ait gardé la trace. Je n’ai pas pu, actuellement, retrouver une illustration le représentant.

  • Joseph PACCARD (Chamonix circa 1712 – 24/07/1787)

Marié à Aimée Pessat, il est le père de quatre enfants :

1 – L’ainé, Jean-Marie-Joseph, est licencié en droit en 1793, il est souvent surnommé l’avocat1. En 1790, il devient notaire, succédant ainsi à son père2. Il est un des chefs du clan des jacobins de Chamonix pendant la révolution, et est classé comme chef démocrate et riche dans le tableau contre-révolutionnaire de 1793, dressé à la demande de Benoît-Maurice de Salles. Il est, par exemple, secrétaire municipal, nommé par le peuple, le 29 novembre 1792, ou capitaine de la Garde Nationale le 24 août 1794.

Peut-être comme conséquence de ses engagements politiques, il émigre aux USA, et d’après la légende serait un des ascendants de la famille Paccard, le fameux constructeur de voitures US.

2 – Pierre-Joseph, [1755 – 1833], prêtre en 1777, docteur en théologie ; il a été vicaire de Chamonix (circa 1800 – 1803), émigré, rentré d’assez bonne heure3 à Chamonix, puis curé de Pontchy près de Bonneville en 1803.

3 – Le célèbre Michel Gabriel [21 02 1757 – 21 03 1827], le vainqueur du Mont-Blanc.

4 – Une fille, Marie Monique, qui s’occupe des taches ménagères dans la maison Paccard du fait du décès précoce de sa mère ; mariée à Jacques Nombride, fils de Jean Nombride, notaire de Magland.

LE CHAMONIARD :

Il est notaire, et curial4 de Chamonix ; il est alors l’homme le plus instruit de la vallée mais aussi un de ses plus riches habitants5. Sa position intellectuelle prédominante le destine à représenter la communauté chamoniarde, lorsqu’elle est en prise juridique avec ses suzerains6 : il devient naturellement le négociateur avec le chapitre de Sallanches, comme le rappelle le chanoine Galley : on a député Paccard, l’oracle de la vallée, pour voir nos livres et savoir les coutumes à ce sujet. Il sera ainsi de la fameuse équipée qui va au fort de Bard, en Val d’Aoste, chercher les anciens actes de Chamonix.

Enfin il est celui qui fait signer par Jacques Balmat, les attestations relatives à sa course au Mont-Blanc, dans le sillage de son fils ; ce réflexe de juriste lui sera parfois reproché…

LE SECRÉTAIRE DE LA COMMUNAUTÉ DE CHAMONIX :

Sa fonction de secrétaire fait qu’il est le correspondant local de l’Intendant du Faucigny7. La copie de son courrier, conservé aux archives de la Haute-Savoie, est une source incomparable sur la vie quotidienne de Chamonix, et des vallées environnantes. On lui doit, entre autres, une correspondance célèbre de 1776, sur l’état de la commune de Chamonix8, véritable statistique avant l’heure ; il note alors : il n’y a rien de remarquable dans la vallée, à moins qu’on ne veuille dire que les glaciers qui y sont méritent attention, puisque la curiosité y attire beaucoup d’étrangers, qui regardent le Mont-Blanc, comme très respectable, comme étant la montagne la plus élevée de notre globe.

Il faut signaler qu’il n’y cite pas l’activité des cristalliers.

On sait aussi par ses courriers qu’il sera l’objet de sollicitations inlassables de la Cour de Turin, qui veut récupérer des crystaux ; il surveille aussi les travaux des étrangers (anglais, bernois, …) dans leurs prospections minières.

Fin 1763, Paccard fait l’objet d’une cabale de la part de certains de ses administrés, et, l’Intendant du Faucigny rappelle dans un courrier à Turin, sa probité impeccable.

LE NATURALISTE :

Il s’intéresse aussi aux montagnes, à la physique, et entretient un modeste cabinet de physique.

Il possède un chalet à Planpraz, où lui et son fils Michel Gabriel, font leurs observations de physique. Justement alors qu’il surveille la construction du chalet, il sera l’un des premiers au monde à conjecturer que la foudre est de l’électricité. Comme le rapporte de Saussure, durant l’été1733, il fut surpris par un violent orage qui l’obligea à se réfugier sous un rocher. Il laissa un grand levier de fer planté dans la terre, et il put observer à son grand étonnement, le tonnerre, ou l’éclair, comme il l’appelait, tomber à plusieurs reprises sur la tête de ce levier. L’hiver suivant, il se rendit à Paris ; il y assista à un cours de l’abbé Nollet9, et dès que lui apparurent les étincelles électriques, il fut frappé de la ressemblance de ces étincelles avec les feux qu’il avait vu tomber sur son levier, et il fit part de son observation au célèbre physicien.

Son cabinet contient en plus de quelques instruments de physique, une petite collection d’histoire naturelle, comprenant des cristaux.

Sa maison est l’une des étapes obligées des premiers voyageurs et savants qui visitent la vallée : très tôt il reçoit Horace-Bénédict de Saussure10, régulièrement Bourrit11, à qui il explique que le Col du Géant permettait autrefois de communiquer avec Courmayeur, en lui précisant que cette ville aurait été autrefois le siège d’une cour de justice, etc…

Il reçoit Blaikie le 31 août 1775, qui précise qu’après avoir discuté quelque peu, deux d’entre eux12 proposèrent de m’accompagner pour me guider sur les montagnes. Il connaît les altitudes de certaines montagnes du massif, qu’il sait probablement du fameux Sir Georges Shuckburg, qui visite lui aussi Chamonix en 1775, quelques jours avant Blaikie.

Enfin, sous la plume de Lantier13, il devient un personnage de roman : Le greffier actuel nous donna à déjeuner. Il est père de trois enfants, dont l’un est docteur en médecine, le second avocat, et le troisième abbé. Ce bon Nestor tantôt étudie dans son cabinet, tantôt conduit la charrue : il se mêle de chirurgie, et c’est lui qui a toujours accouché sa femme. Ne vous étonnez point de trouver tant d’instruction dans ces montagnes. « Les paysans suisses, dit J. J. Rousseau, lisent et leur lecture leur profite ; ils ont presque tous un recueil de livres choisis qu’ils appellent leur bibliothèque ».

Il se noie dans le Nant Naillant aux Houches, un jour d’orage, en se rendant à Sallanches14, pour rencontrer l’intendant du Faucigny.

Éric Asselborn, Attignat, biographie offerte en juin 2002.

Notes de l’auteur :

1 : Peut-être après avoir commencé des études de médecine.

2 : Accensée à vie pour 18 £ par an.

3 : Pour exercer clandestinement son ministère

4 : Secrétaire de la cure

5 : Perfidie de Bourrit in Lettre de Monsieur Bourrit sur le premier voyage fait au sommet du Mont-Blanc, le 8 Août dernier. Genève, 1786*

6 : La communauté de Chamonix n’obtiendra son affranchissement qu’en 1786, soit trois ans avant la Révolution !

7 : L’équivalent d’un préfet actuel.

8 : Chamonix possède alors 1 000 habitants, Vallorcine, 500.

9 : L’abbé Nollet [1700 – 1770], physicien célèbre ; il donna des cours publics réputés de 1730 à 1760 ; il est l’invité de la cour royale du Piémont en 1739 ; il s’est intéressé à l’électricité atmosphérique surtout après 1750.

10 : Cf. la lettre de Me Couteran à Horace-Bénédict de Saussure, datée du 24 septembre 1767.

11 : Il a manifestement lu le livre de Mollo.

12 : Jean-Marie et Michel-Gabriel.

13 : Étienne François de Lantier, Les voyageurs en Suisse, Paris 1803, 1, pages 86 et 87 (édition anglaise 1804 ; éditions françaises 1817 & 1839).

14 : Par sens du devoir, contre l’avis de sa fille et de ses proches ; Michel Gabriel est alors en voyage à Courmayeur.

[Note ajoutée par la rédaction du bulletin:

Marc-Théodore Bourrit participa au deuxième franchissement touristique du Col du Géant en 1787, il gravit sept fois le Buet. Il prit part à plusieurs tentatives infructueuses lancées à la conquête du Mont-Blanc, dont une à laquelle participait M-G. Paccard, et une autre avec son fils et H-B. de Saussure. Voici qu’écrit H-B. de Saussure à propos de cette course : « Je viens de faire avec M Bourrit une tentative pour monter à la cime du Mont-Blanc… j’ai été plus haut qu’aucun naturaliste ne fut allé dans les Alpes. » (Lettre de H-B. S. à Charles Greville, neveu de Lord Hamilton)

Qui est le vainqueur du Mont-Blanc, M-G. Paccard, ou J. Balmat ?

« Balmat fut engagé comme guide et payé comme tel. » (Arnold Lunn).

Balmat était intéressé par l’argent que pouvait lui procurer la conquête. Paccard était motivé par l’exploit et l’étude. Balmat a découvert la route du sommet, Paccard a fourni le « nerf de la guerre » et soutenu son compagnon au moment du doute (mais Paccard, pratiquement aveugle après la perte de son chapeau, avait besoin des yeux de Balmat). Que l’un ou l’autre soit arrivé le premier au sommet a peu d’importance, puisque les deux l’ont atteint, y ont séjourné et en sont revenus !

Pas de corde entre ces deux hommes (cette technique est inusitée à l’époque), on ne peut donc parler de « cordée » au sens ou nous l’entendons aujourd’hui ; mais il s’agit bien d’une « cordée morale », l’un n’allant pas sans l’autre, c’est bien la « cordée Paccard – Balmat » qui vainquit le Mont-Blanc.

« Bourrit n’a jamais réussi l’ascension du Mont-Blanc… qu’un guide soit parvenu au sommet lui paraît chose normale, mais un amateur ne peut avoir qu’un rôle de comparse. Il chercha donc à minimiser la part du docteur au bénéfice de Balmat… Bourrit avait rendu un mauvais service à Balmat, car la réaction fut parfois violente et il s’en fallut de peu que Paccard ne devint le seul artisan de la victoire. Il serait injuste d’adopter cette solution. (Paul Payot, Le royaume du Mont-Blanc. pages 190 et suivantes. Denoel, réédition 1978).]


Du sable aurifère à la source de l’Arveiron !

(Bulletin du club n° 57, août 2006)

Par Horace Bénédict de Saussure

«  Mais ce glacier*1 ne charrie pas seulement des pierres. Le sable de l’Arveiron qui en sort, contient de l’or, et même quelquefois en assez grande quantité. J’en avais ramassé en 1761 dans une de ces petites anses, où la Nature, par une opération semblable à celle du lavage des mines, rassemble les parties les plus pesantes et les plus riches.

Quelque temps après mon retour, un orfèvre, qui avait établi sur le Rhône des moulins à lavures*2, vint me dire que ses moulins n’étant pas tous occupés, il désirerait trouver un sable qui pût passer dans ses moulins, avec quelque espérance de profit. Je lui parlai de celui de l’Arveiron et lui donnai l’échantillon que j’en avais rapporté. Au bout de 2 ou 3 jours, cet homme revint avec une émotion qui lui laissait à peine la liberté de parler ; il me dit qu’il venait de faire l’essai de ce sable, et que si je pouvais lui indiquer exactement le lieu où je l’avais pris, et lui en faire avoir une certaine quantité, il y aurait de l’or pour lui, pour moi, et tous ceux qui en voudraient. Je lui donnai tous les renseignements nécessaires ; il alla sur-le-champ, en chargea plusieurs mulets, pour le passer à ses moulins, mais n’en retira pas même les frais. L’or était distribué dans ce sable avec une extrême inégalité, quelquefois on en trouvait assez dans une petite portion, d’autres fois un sac entier n’en donnait qu’une quantité imperceptible.

J’en ai moi-même ramassé depuis dans les mêmes endroits où j’avais trouvé celui qui avait donné de si grandes espérances : j’en fis l’essai suivant les règles de l’art ; et j’obtins sur une demi-once*3 de sable un bouton d’or, pâle, allié d’argent, mais si petit que la balance la plus mobile ne pouvait pas en apprécier le poids. Il est vraisemblable que cet or est entraîné par des avalanches, ou par des torrents qui se jettent dans le glacier, et dont la chute n’étant point régulière ne saurait donner constamment la même quantité. »

Horace Bénédict de Saussure, Professeur de philosophie à Genève,

Voyages dans les Alpes, Tome II, page 21. 1786.

Notes :

1 : Le Glacier des Bois, langue terminale de la Mer de Glace qui, à l’époque, franchissait le rocher des Mottets.

2 : Moulins à lavures : machinerie mue par la force hydraulique, utilisée pour laver les minerais ; en quelque sorte, l’ancêtre des laveries… Les moulins utilisaient trois sortes d’énergies : énergie animale (ou humaine) dans les “ moulins à sang ” (corruption de asinus ?), énergie éolienne dans les “ moulins à vent ”, énergie hydraulique dans les moulins à fil d’eau ou à chute d’eau. Lorsque l’on parle de moulins, on pense immédiatement aux moulins à farines (grains divers, châtaignes, etc.) et aux moulins à huiles (oléagineux divers, noix, olives, etc.) pourtant, les machineries entraînées par le dernier type de moulins étaient très diverses : moulins à chanvre, soie, etc. ; moulins à lavures, moulins à foulons, moulins à fer, martinets, martinettes, forges, et, plus tard, dynamos, puis alternateurs (soit, de nos jours, centrales et micro-centrales hydrauliques… À Rémuzat, au Chambon, notre ami Rémond Laget pouvait, grâce à sa chute d’eau, produire de l’électricité, couper son bois, activer le feu de sa forge, trier ses noix, les broyer, etc.

3 : Demi-once : environ 13 grammes… Unité de mesure utilisée avant la mise en place du système métrique, et variant selon les régions.


Opale, Jaspe et Calcédoine dans le massif.

(Eric Asselborn, bulletin n° 59, 2008)

Opale
Gisements
Si l’on en croit Douxami, l’opale laiteuse ferait des nids dans le jaspe de la carrière de jaspe des Plagnes au Fayet ; c’est très douteux, il s’agit probablement de quartz. Venance Payot y décrit la menilite de Saussure, variété d’opale : c’est douteux.
La collection du Musée de Lausanne, conserve un morceau de bois silicifié, avec un des tout premiers numéros1, avec la mention : Opale, Servoz, Savoie. Le fragment montre des lignes de croissance du bois, et, ce qui est très intéressant, des trous de vers xylophages. La densité est très faible, ce qui évoque l’opale, mais il est difficile de dire s’il en contient vraiment. [Stephan Ansermet] ; il pourrait provenir des gisements carbonifères de Moëde.
A Botzé, au-delà du village : douteux [VP].
En concrétions et croûtes vitreuses, montrant une fluorescence verte aux ondes courtes, type « hyalite », dans le gisement d’uranium de Trient2.


Calcédoine
Gisements

Elle est signalée à Chamouni, dès 1835 par Necker3, en pseudomorphose de calcite equiaxe lenticulaire ; cette association est évocatrice d’une des mines de Servoz.
En croûtes et entrelardée – agate calcédoine- dans les jaspes, à la carrière de jaspe des Plagnes au Fayet ; avec calcite & baryte.
Au Mont Chemin (Valais) : elle est localement abondante dans la galerie inférieure de La Crettaz, aux épontes du filon de fluorine, en masses décimétriques brunes ; quartz fibreux dans les pierres volantes d’un marbre dans les éboulis de la région des Écoteaux4.
Du chrysoprase matrix est signalé dans un gros filon de quartz à gauche du Refuge Robert Blanc au Col du Tondu [Joseph Canova].


Jaspe
Les bancs de jaspe des Plagnes sont signalés par Donati5 dès 1751 ; Jurine6 est le premier à les étudier.


Gisements
Le gisement classique de Saint Gervais, à la carrière de jaspe des Plagnes, creusée pour exploiter l’affleurement du lit du torrent du Gibeloux7 au-dessus du Fayet.
Il existe un gisement similaire près de Saint-Greppin sur l’autre rive du Bonnant8.
Jaspe simple ou violacé, à l’extrémité N-E du Montfort, à Vaudagne, un peu au-dessus des Montées Pélissier, entre l’ancienne et la nouvelle route. Vers 1860 ce gisement a été modestement exploité, sous le nom de Jaspes des Montées. Pour Alphonse Favre il s’agit de la même couche qu’à Saint-Gervais, toutefois pour les anciens auteurs, les nuances de rouge y sont moins foncées.
Venance Payot signale un autre affleurement, probablement du même type, mais peu coloré, au sommet des roches moutonnées des Montées.
Gosse signale des cailloux de jaspe d’agate au Montenvers : douteux9.


L’histoire des jaspes de Saint-Gervais
Ce gisement et connu depuis de très longue date : en septembre 1751, Vitaliano Donati note, à la suite de sa mission d’expertise dans la région, qu’il est possible de ramasser dans les alentours de Saint-Gervais du diaspro et de la calcédoine de couleurs très diverses. Et, en 1776, Maître Octenier, dans des écrits rapportés par Charles Vallot, signale qu’il y a derrière la paroisse une carrière d’une espèce de marbre dans le creux du ruisseau Gibloù … elle a souvent été examinée et admirée par les curieux et nullement entreprise ; c’est un roc si dur que l’on craint pouvoir émousser toutes les pointes de fer et autres instruments : c’est un serpentin qui varie en couleurs grise, blanche et rouge cramoisy.
Le gisement est connu de Saussure10, et Exchaquet11 est probablement le premier à en vendre des échantillons12 ; tous les naturalistes de renom visitent alors le gisement : Martyn [1787], Berthoud van Berchem13, Dolomieu14 [vers 1795], Jurine, Albanis Beaumont15, Lelivec16, Brard17, et les touristes doivent le visiter ; c’est une destination courue, à quelques minutes des bains. Alexis Delaire et un groupe de savants appartenant à la Société Géologique de France l’inspectent sous la direction d’Alphonse Favre18 en 1875 ; Stanislas Meunier et ses élèves découvrent la carrière vers 1880 : dès le matin, nous rendons visite à la célèbre carrière de jaspe rouge…Chacun prend de beaux spécimens de cette roche digne par l’aspect de prendre place parmi les brèches les mieux caractérisées.



L’exploitation
Elle est appelée carrière des Plagnes ou du Berchat19.
La mise en exploitation du gîte est dans l’air depuis la fin du XVIIIème siècle, mais comme le regrette Lelivec, on n’en a encore tiré aucun parti. Brard commente : j’ai souvent examiné avec regret un magnifique gisement de jaspe fleuri qui existe en Savoie près de la petite ville de Sallanches, à Saint-Gervais- les-Bains; il est composé d’un beau jaspe rogue de sang, veiné de calcédoine blanche, qui pourrait être exploité avec le plus grand succès puisqu’il est au bord d’une grand route, et qu’on en obtiendrait facilement des pierres fort étendues. Dolomieu qui le visita plusieurs fois aussi, comparait cette couche de jaspe à ce qu’il avait vu de plus beau en Sicile. Jusqu’à présent on s’est contenté d’en détacher quelques échantillons qui sont demeurés dans les collections de minéralogie. J’ajouterai que la petite rivière du Bonnant qui coule tout près de là, offrirait toute les facilités désirables pour un établissement lithoglypte, où l’on pourrait débiter, tourner et polir cette belle matière de la manière la plus économique.s de là, offrirait toute les facilités désirables pour un établissement lithoglypte, où l’on pourrait débiter, tourner et polir cette belle matière de la manière la plus économique.



Géologie
Cette roche rouge particulière est étudiée par Jurine, qui regarde cette substance comme un jaspe et qui est rubané par la stéatite, appartenant à une nouvelle famille de roche qu’il a créée : les spurines.
Mortillet (1858) revient sur leur étude : parmi ces diverses couches, il en est une qui mérite une mention toute particulière. Elle s’observe dans le lit du torrent du Gibeloux… c’est un mélange de grès, nommé mimophyre par Jurine & Brongniart et d’une pâte talqueuse… cette pâte contient aussi des nids de calcaire spathique jaunâtre, de petites parties d’opale laiteuse, et surtout un assez grand nombre de rognons d’un beau jaspe rouge.
Mermillod (1871) décrit plus finement le gisement : les affleurements de jaspe apparaissaient sur 300 m en remontant le Gibloux au départ de la route départementale ; la série des couches était la suivante :
– quartzite à la base
– jaspe (20m) visible à la surface sur 6m de hauteur
– quartzite (hauteur 60m)
– calcaire compact sans fossiles (4m de hauteur)
– cargnieule (hauteur 10m)
– calcaire compact (100m de hauteur)
Toutes ces couches sont en concordances … leur stratification générale est N-40°-E avec une pente vers le N-O de 15° ; les calcaires supérieurs seraient triasiques.
Le jaspe se présente en deux couches, l’une supérieure, très fragmentée, riche en géodes avec des cristaux de quartz, calcite, baryte et pyrite, cette couche était jetée au déblai, car impropre à la coupe ; la couche inférieure, seule, fournit des blocs de taille suffisante, qui atteignent 0,6 x 0,6 x 4m.
La nature géologique réelle de ces jaspes fait toujours débat, pour Mennessier (1977) les quartzites inférieurs contiennent des fragments de jaspe rouge … ces roches, dont le faciès rappelle le Verrucano, peuvent correspondre pour une part au Permien … elles ont été décrites sous le nom de bésimaudites par Douxami.


Minéralogie
Pour Bourdet, ce jaspe est un quartz jaspe rouge passant à la calcédoine opaque ; pour Alphose Favre il s’agit d’un grès que j’ai désigné sous le nom d’arkose ; il contient des grains de quartz rose… substance extrêmement rare dans les Alpes. Il renferme des masses de jaspe à couleurs variées, particulièrement dans le torrent du Gibeloux, qui a donné lieu à une exploitation…
A la demande de Revon, ce jaspe a été étudié par Daubrée20 : ce jaspe… est composé de silice colorée par l’oxyde de fer… les mouchetures vertes sont dues au silicate de fer et à la serpentine ; les taches blondes révèlent la présence de la dolomie, et les blanches celles du quartz, qui apparaît également en cristaux dans les géodes et dans les fissures ; enfin les pyrites de fer ajoutent à ce fond varié des traînées d’un superbe jaune d’or.
Douxami revient sur la nature de la silice : c’est pour lui, une brèche à jaspe formant des traînées mamelonnées et concrétionnées contenant avec des grains fins d’hématite rouge beaucoup d’opale amorphe et du quartz globulaire d’aspect spongieux.
Pour Venance Payot, qui utilise les termes du métier, il s’agit d’une brèche jaspée rouge fleurie !
Au total il s’agit d’une roche, probablement d’âge permien, constituée de blocs composés de silice microcristalline rouge, le plus souvent à l’aspect de jaspe ; certaines passées sont « plus nobles » de type calcédoine. La silice est associée à une substance talqueuse verdâtre, à la dolomie blonde et au quartz et peut-être à de l’hématite. Dans les géodes, on retrouve du quartz bien cristallisé, de la dolomie – et probablement de l’ankérite – , et de la barytine.




Notes:

1. Donc un très ancien échantillon…
2. Frey & von Raumer, 1977.
3. Louis-Albert de Saussure dit Necker de Saussure (Genève, 1786 – Portree, Écosse, 1861), Géologue & minéralogiste ; il est aussi météorologiste et ornithologue.
4. Ansermet, 2001.
5. Vitaliano Donati (Padoue, 1717 – Mangalore, 1762), médecin, naturaliste, voyageur et archéologue.
6. Louis Jurine (Genève, 1751 – Genève 1819), célèbre chirurgien, naturaliste et collectionneur.
7. Ou Nan de Gibloux, Nant-Ferney ou torrent des Cheminées des Fées.
8. Alphonse Favre, 1867.
9. Les « jaspes » verts signalés ici ou là sont probablement des feldspaths constitutifs des hornstein ou roche de corne des anciens : Phtanite terne avec fer sulfuré de la montagne du Pas (Bourdet, 1823) ; Mont Vautier prés Servoz (Brard, 1824) ; moraine de la Mer de Glace (Pictet, 1787).
10. Horace Bénédict de Saussure (Genève , 1740 – Genève , 1799), illustre géologue, collectionneur.
11. Charles-François Exchaquet (Court, Jura bernois, 1746 – Servoz, 1792), mineur, topographe, minéralogiste, chimiste & alpiniste.
12. Coll. Wyttenbach du Muséum de Berne.
13. Jacob-Pierre Berthoud van Berchem dit coos [La Brille, 1763 – 1832], naturaliste, commerçant.
14. Dieudonné-Sylvain-Guy-Tancrède, dit Déodat, de Gratet de Dolomieu (Dolomieu, 1750 – 1801), illustre géologue et minéralogiste, collectionneur.
15. Jean-François Albanis de Beaumont dit Albanis-Beaumont [Chambéry, 1753 – La Vernaz, 1811], ingénieur, écrivain, dessinateur et graveur, géographe, érudit, archéologue savoyard.
16. H. Lelivec de Trézurin (cc1770 -1809), ingénieur des mines.
17. Cyprien Brard (1786 – 1839), ingénieur des mines, minéralogiste, collectionneur.
Il note : un gîte fort remarquable de jaspe rouge, comparable à ce que la Sicile offre de plus beau en ce genre… Il possède un cachet taillé dans ce jaspe
18. Alphonse Favre (Genève, 1815- Genève, 1890), célèbre géologue, collectionne.
19. Vallot nous en donne la localisation de la carrière : Itinéraire. Suivre le chemin du Berchat qui est, dans sa section inférieure , contigu à la voie du T. M. B. , traverser cette voie dans la grande courbe qui la ramène à angle droit de sa direction première et, au delà d’un réservoir, prendre à g. un chemin qui, au bout de 40 mèt. conduit dans le Nant Ferney et sur le filon même de jaspe rouge…
20. Auguste Daubrée [1814-1896], pétrographe et minéralogiste à Paris, membre de l’Institut.


Aurore Dupin dite George Sand (1804-1876)1

Eric Asselborn (Bulletin n° 59, août 2008)
« Ma chère fille, je te dédie ce conte bleu, qui te rappellera les sermons que nous faits ton mari quand nous nous laissons émerveiller par la beauté des échantillons de minéralogie, au lieu de le suivre exclusivement dans l’étude des formations géologiques. »

George Sand.

George Sand est aussi une fervente naturaliste : dès son enfance, elle est initiée à la botanique par son précepteur Deschartres2. Si elle est passionnée par la botanique, ce qui est maintenant bien connu, elle se pique aussi d’entomologie, mais son vif intérêt pour les roches et les minéraux n’est que très modestement passé à la postérité. En revanche, de son vivant, alors qu’elle réside à Nohant, sa minéralomanie est notoire : je n’avais plus dans la cervelle que des noms plus ou moins barbares ; dans mes rêves je ne voyais que prismes rhomboïdes, reflets chatoyants, cassure terne, cassure résineuse. Elle irrite d’ailleurs souvent certains de ses amis ! Théophile Gautier, invité à Nohant pendant l’été 1863, n’a guère apprécié son séjour, car on y mange trop de poulets, on y fait trop de plaisanteries scatologiques3 et on n’y parle pas assez de littérature : « il n’y a qu’une chose dont on s’occupe là-bas ; la minéralogie. Chacun a son marteau, on ne sort pas sans» ! Il ne veut pas y retourner…

Elle consacre ses loisirs à l’histoire naturelle, et particulièrement à la minéralogie ; elle publie en 1864, Voyage dans le cristal : Laura.

Chamonix
Lors de ses deux voyages à Chamonix, elle sait des rudiments d’entomologie et de minéralogie.
Elle visite la vallée une première fois en 1834, avec le docteur Pietro Pagello ; il ne nous reste que peu de traces de cette visite ; on sait seulement qu’ils examinent avec intérêt des fissures de 400 pieds dans la Mer de Glace4.
Elle visite à nouveau la vallée en 1836, dans une fameuse équipée avec le Major Pictet, et où son allure défraie la chronique5 ; elle y est attentive à la chose naturelle : elle visite les boutiques naturalistes, où elle achète un cristal de roche dans celle du Montenvers26.
A ce propos le Major évoque de manière subtile le cristal de roche :
– Mon pauvre Georges ! s’écria Franz à la vue de cette profusion, quel dépensier vous êtes ! Je crois vraiment que vous emportez tout le magasin de curiosités.
– Vous ne voyez pas tout, dit Georges en riant ; mettez la main dans la poche gauche, et montrez au major, qui arrive là d’un air ténébreux, le plus beau cristal de roche qu’il ait jamais admiré.
– Franz, en effet, tira de la poche indiquée un cristal d’une eau singulièrement limpide, de dimensions remarquables, et taillé de manière à le faire briller de tout son éclat.
Elle y apprécie de poursuivre dans les prairies spongieuses, l’Apollon aux ailes blanches ocellées de pourpre…


Roches & collections
Après sa rupture avec Chopin en 1847, elle consacre ses loisirs à l’histoire naturelle, et particulièrement à la minéralogie, dans le sillage de l’éducation de son fils Maurice7 ; sa mère est très fière du vif sentiment naturaliste de son rejeton. Après son départ, elle n’oublie rien de la géologie, mais son attachement y est moins intense.
Il y a une troisième manière d’envisager la science, écrit George Sand, elle est intéressante mais puérile. Elle consiste à connaître le détail des innombrables accidents et des minutieuses modifications que présentent les éléments minéralogiques. C’est la science des détails, qui possède les amateurs de collections et qui intéresse aussi les lapidaires, les bijoutiers…
Elle pratique une minéralogie élémentaire8 et poétique, qui est en fait plus une simple géologie9, ainsi qu’en témoigne sa collection conservée à Nohant10, pour partie échantillonnée dans la campagne environnante11 ou lors de ses voyages12.

De Cauterets, elle écrit à sa mère : « ces pierres que je vous montrerai sont toutes remplies de parcelles de fer et de plomb qui brillent comme des paillettes ; […] je vous porte du cristal de roche ». Elle garde aussi pour elle un peu de ce cristal de roche des Pyrénées : « le fragment le plus complet […] lui servira de presse-papiers jusqu’au dernier jour de sa vie », rappelle Christian Bernadac qui voit là « le personnage principal de Laura ».
Du Mont-Dore elle rapporte « un échantillon de basalte ». L’Auvergne lui révèle un univers minéral étonnant de « cônes basaltiques », de laves figées, noires et poreuses. Elle ramasse du micaschiste et des scories volcaniques et le héros de son nouveau roman aura pour nom Jean de la Roche.


Minéralogie et littérature
Elle publie en 1864, son classique ouvrage dédié aux mystères de la cristallisation : Voyage dans le cristal : Laura. Elle y raconte indirectement sa vie d’amateur : un soir, elle casse une géode qu’elle avait ramassée dans la journée. Après l’avoir considérée longuement à la loupe : – Voilà qui est étrange ! s’écria-t-elle à haute voix. Les parois qui tapissent la caverne de cette pierre retracent parfaitement une scène antédiluvienne. Voyez, voilà l’Eden. Ici des arbres dont l’espèce est perdue ; là, des animaux étranges ; et plus loin, dans cette petite excavation, un homme et une femme, vêtus de peaux de bêtes… Est-ce assez curieux ! La géologie lui évoque la personnalité humaine : ainsi Love Bulter examine à la loupe une pierre brisée et avant de conclure « tout ne fait qu’un », elle dit : « avez-vous remarqué […] comme il y a de petits fragments qui représentent une grande roche avec ses arêtes, ses cavernes et ses cristallisations ? […] de même que cette petite pierre renferme tous les éléments dont se compose la grande roche dont elle est sortie, de même le coeur d’un homme ou d’une femme est un échantillon de tout le genre humain. »
Jules Verne publie Le voyage au centre de la Terre quelques mois après Laura : les deux romans ont fait l’objet de comparaisons approfondies ; ce qui est pour Jules Verne un voyage scientifique, est une promenade poétique pour George Sand …

Gaston Bachelard dans « La Terre et les rêveries de la volonté » voit dans Laura une accumulation de « rêves minéraux ».

Il insiste sur la phrase de George Sand : « Cent fois j’ai comparé dans ma pensée le caillou que je ramassais sous mes pieds à la montagne qui se dressait
au-dessus de ma tête, et j’ai trouvé que l’échantillon était une sorte de résumé de la masse » « Tout le monde a remarqué cela » écrit-elle. Oui, dit Bachelard,
mais elle est la seule à l’écrire.
Elle nous donne la clef de sa relation « pierres – montagnes » : une petite pierre me fait revoir toute la montagne d’où je l’ai rapportée, et la revoir avec ses moindres détails du haut en bas… Qu’est-ce donc que le passé, si nous pouvons le reconstituer avec une précision si entière et ressaisir avec son image les sensations du froid, du chaud, de plaisir, d’effroi ou de surprise que nous y avons subies ? Nous pouvons presque nous vanter d’emporter avec nous un site que nous traversons, où nos pas ne nous ramèneront jamais, mais qui nous plaît et dont nous avons résolu de ne jamais nous dessaisir. Si nous ramassons là une fleur, un caillou, un brin de toison pris au buisson du chemin, cet objet insignifiant aura la magie d’évoquer le tableau qui nous a charmés, une magie plus forte que notre mémoire, car il nous retrace instantanément et à de grandes distances de temps, un monde redevenu vague dans nos souvenirs.
Elle sème aussi par-ci par-là quelques notes minéralogiques : elle met en scène le minéralogiste Durand dans le Pavé (1861) ; deux de ses contes évoquent la minéralogie : Le Marteau rouge (1875), La Fée poussière (1875).

Louis Simonin13 lui dédie son classique opus : Les Pierres. Esquisses minéralogiques.

La « dendriteuse »
Elle se passionne aussi pour le dessin et l’aquarelle qu’elle pratique avec passion : elle invente l’aquarelle en dendritant, qui est une pratique à sa manière de l’aquarelle à l’écrasage. Cette technique14 lui permet d’imiter les dendrites minérales qui l’intéressent beaucoup




Notes:

1. Adolphe Pictet, Une course à Chamonix. Conte Fantastique, Paris, 1838 ; George Sand, Voyage dans le cristal : Laura, Revue des Deux Mondes, Paris, 1864, 42, p5-40, 265-301 (ed. autrichienne 1864 ; nbses. ed. fr. dont Cosnier, 2004) ; Louis Simonin, Les Pierres. Esquisses minéralogiques, Paris, 1869, préface viii ; Jean de Paris, [Napoléon Adrien Marx], « George Sand intime » Le Figaro, 1880 ; Christian Bernadac, George Sand : dessins et aquarelles : « Les montagnes bleues », Paris, 1992 ; Colette Cosnier, Les quatres montagnes de George Sand. Suivi de Laura, voyage dans le cristal, roman de George Sand, Chamonix, 2004 ; Jean-Yves Patte, l’album George Sand, Paris, 2004, pp122-23 ; Nicole Savy, La découverte des dendrites, in George Sand, une nature d’artiste, Paris, 2004, pp161-165 ; Pascal Casanova, Quand George Sand se passionnait pour la minéralogie et écrivait des contes pour ses petits-enfants in Bicentenaire George Sand Hommage Varois, Toulon, 2005, pp253-264 ; Serge Robillard, Une étonnante rencontre littéraire : George Sand et Jules Verne in Bicentenaire George Sand Hommage Varois, Toulon, 2005, pp265-273 ;
2. Jean-François Deschartres [1761-1828]. Elle considère aussi Jean-Jacques Rousseau comme son initiateur ; il avait été le secrétaire de son grand-père. Elle est formée aussi à la botanique par son ami Jules Néraud, dit le Malgache [1795-1855], auteur de la Botanique de l’enfance (Lausanne, 1847, avec une préface de G. Sand).
3. Nous passions des heures à nous demander : « tiens-tu l’orthose ? tiens-tu l’albite ? ».
4. Elle réside, par hasard, à l’hôtel de l’Union, que les gens du pays prononcent « oignon » ; ils sont guidés par Joseph-Victor Simond (1780-1863), de La Frasse, qui ne remarque pas que George Sand est une femme…
5. La fameuse mademoiselle d’Angeville lui écrira un billet triomphal du sommet du Mont Blanc.
6. Elle l’achète à l’intention de Michel de Bourges ; il est censé symboliser sa fidélité… Mais Adolphe Pictet croit voir des choses plus inquiétantes à l’intérieur de ce qu’il prend pour un talisman : « mille arcs-en-ciel entrelacés et s’agitant comme des serpents de feu », « des scènes entières tirées de la vie terrestre » et « des mondes entiers, avec leurs soleils et leurs planètes, leurs cieux étoilés et leurs voies lactées»…
7. Maurice Dudevant-Sand [1823-1889], artiste peintre.
8. A la suite de sa visite au Muséum à Paris, le 21 mars 1862, où elle rencontre, entre autres, Auguste Daubrée et Charles d’Orbigny, elle « décroche » un droit d’entrée gratuit et permanent au Muséum ; je vais me payer ça souvent, s’enthousiasme t’elle !
9. Elle sait ce qu’est la géologie et la minéralogie scientifique, ainsi qu’en témoigne ses écrits : tu as raison, Walter, de ne pas t’absorber dans les minuties des classements et des dénominations purement minéralogiques ; mais tu cherches l’utile avec autant d’étroitesse d’idées que les minéralogistes cherchent le rare. Je ne me soucie pas plus que toi des diamants et des émeraudes qui font l’orgueil et l’amusement d’un petit nombre de privilégiés de la fortune ; mais, quand tu enfermes ton âme tout entière dans les parois d’une mine plus ou moins riche, tu me fais l’effet de la taupe qui fuit les rayons du soleil.
Il n’est pas impossible que ses connaissances, et que celles de son fils Maurice, plafonnent, car elles sont largement acquises de manière autodidacte.
En juillet 1860, Léon Brothier vient lui enseigner à Nohant, pendant 6 jours, des éléments de géologie. Il est maître de forges à Toulouse, puis à Decazeville ; animateur de la Revue philosophique et religieuse ; il publie une Histoire de la terre (1878), vieux savant en même temps qu’écrivain à la fibre poétique.
10. Elle y possède un cabinet d’histoire naturelle et une bibliothèque, riche en ouvrages géologiques généraux ; et il n’est pas rare que quelqu’un, dans la pénombre d’un couloir de Nohant, trébuche sur un tas de cailloux…
11. En promenade en après-midi avec Flaubert, sur les hauteurs de Rouen, elle ne pu s’empêcher, tout en admirant la vue, de rapporter une « charge de polypiers de silex ».
12. Elle acquiert aussi des spécimens d’autres collectionneurs comme Pascal Hougounenq [1822-1899], pharmacien et maire de Lodève.
La poste est engorgée de caissettes, de paquets, d’enveloppes épaisses.
13. Louis Simonin (1830- 1886), géologue et minéralogiste, professeur au MNHNP.
14. Cette technique est confondue par les auteurs contemporains avec un autre savoir-faire qu’elle utilise : le brossage des taches de couleur avec une brosse dure…


Épidote

Par Éric Asselborn

HISTORIQUE

Rappelons que l’épidote type (de l’Oisans) a été décrite pour la première fois par Romé de l’Isle en 1783.

Si de Saussure possède dans sa collection de l’épidote d’Haüy, provenant de Chamouni, elle ne semble avoir été signalé pour la première fois qu’en 1801, sous le nom de shorl vert par Jurine*1 au Glacier de Talèfre et sur la Montagne de la Côte*2.

Cette épidote intéresse les anciens collectionneurs en voyage à Chamonix, ainsi, le fameux Drée signale dans sa collection des cristaux isolés remarquables par leur netteté qui proviennent probablement du massif*3, et qu’il a dû acquérir auprès des cristalliers de Chamonix, lors de son voyage en l’an VII ; Leschevin*4 décrit ainsi la minéralogie des moraines du Glacier des Bois*5 : Les diverses espèces de roches qu’offre la moraine de la Mer de glace, se trouvant au pied du Glacier des Bois, je n’avois rien rapporté du Montanvert. Nous nous mîmes en devoir, le guide Payot et moi, de préparer des échantillons ; et comme j’avois encore à visiter, dans les environs, quelques objets qui eussent peu intéressé mes compagnons, ils me quittèrent et retournèrent au Prieuré. On trouve au bas de ce glacier, entre autres roches curieuses, de beaux granits où le feldspath est plus abondant que le quartz et le mica, et qui contiennent des filets d’épidote ; des roches quartzeuses d’un beau blanc, renfermant des nids de chlorite pure, de belles druses de cristaux de roche améthystés, etc.… L’épidote est signalée dès 1811 par Borson, pour la première fois sur le versant italien.

Les premiers cristaux figurés d’épidote du massif ont été décrits par Lévy en 1838 ; il s’agit d’individus maclés selon (100), vert bouteille, isolés ou engagés dans du quartz.

L’épidote, élément constituant des roches du massif est signalée dès 1824 par Brard dans une diorit de Chamouny, et en 1828 par Necker dans les amphibolites du haut du Mont Loguia, de l’Aiguille de la Floria, du Lac Cornu et du Lac Noir.

En 1867 Alphonse Favre signale pour la première fois le gisement classique de l’Arête Charlet-Straton.

L’épidote du massif a été plus récemment étudiée et décrite par Lacroix sur un très important lot de spécimens du massif, ainsi que parallèlement par Duparc et Mrazec*6, à Genève, et Thérèze Siliprandi, à Turin.

Enfin, en 1965, B. Poty a fixé sa place dans la paragenèse des fentes alpines du massif.

MINÉRALOGIE

Couleur : Vert jaune à vert bouteille thallite, vert noir, brune à noire ; certains cristaux du Miage montrent parfois un beau dichroïsme.

Habitus : Lacroix a décrit huit types de cristaux d’épidote dans le massif, en fonction de la terminaison montrant ou ne montrant pas [010] et suivant l’aplatissement selon [001], [100] ou [-103].

• Type 1

Cristaux aplatis selon [001] et présentant la face [010]. Des cristaux de ce type ont été décrits par Lévy et par Lacroix sur des spécimens des Charmoz ?

• Type 2

Cristal aplati selon [001] avec absence de la face [010] ; certains cristaux de ce type présentent des macles selon [100], sans angle rentrant.

Lacroix décrit un cristal de ce type, de 40mm, provenant de l’Aiguille des Charmoz, conservé au Muséum, avec les faces [001], [101], [100], [-101] et [110].

• Type 3 

Cristal aplati selon [100] et présentant la face [010].

Lacroix précise :  j’ai eu l’occasion d’étudier de fort jolis cristaux transparents d’un jaune un peu verdâtre provenant du Glacier d’Argentières et de Courmayeur ; ils sont souvent aplatis suivant [100] et sont riches en faces. Un cristal présente la forme [001], [100], [-101], [-102], [210], [110] et aux extrémités [010], [011], [012] et [-11] ; un autre possède en outre [113] et [111]

• Type 4

Cristal aplati selon [100], et ne présentant pas la face [010].

Ce type décrit d’après des cristaux figurés par Lévy, serait, d’après Lacroix, peut-être inconnu à Chamonix.

• Type 5

Cristal aplati selon [-103], et présentant la face (010].

• Type 6

Cristal aplati selon [-103] et ne présentant pas la face [010].

• Type 7

Cristal non aplati, et présentant la face [010].

Lacroix décrit des spécimens de ce type, provenant du Glacier d’Argentière ; les faces horizontales sont très cannelées, rendant souvent les mesures impossibles.

• Type 8

Cristal non aplati et ne présentant pas la face [010]. Ils ont été trouvés par Lacroix parmi des spécimens provenant du Glacier d’Argentière, mais aussi par Duparc et Mrazec, en cristaux vert brunâtre, atteignant 150 mm, et souvent tordus ; ces faciès existent aussi au Miage.

CHIMIE

Composition chimique de l’épidote de l’Arête Charlet-Straton, d’après Vernet et Reithler, 1966 :

SiO2 = 38,95 + Al2O3 = 26.71 + Fe2O3 = 5,39 + FeO = 2,92 + MnO = 0,26 + MgO = 0 + CaO = 23,25 + Na2O = 0,08 + K2O = 0 + TiO2 = 0,20 + P2O5 = 0,06 + CO2 = 0,51 + H2O = 0,49 + PF = 2,64 TOTAL = 100,46.

« C’est une épidote assez peu ferrifère » (Poty, page 108).

GISEMENTS

L’épidote est présente dans de nombreuses roches du massif, et dans les fissures de ces roches.

Dans la protogine, où elle est un constituant primaire normal, en petits grains verdâtres ; une épidotite*7 a été découverte par Mrazec dans la protogine du Col des Grands Montets et dans la moraine des Pèlerins.

Elle est commune dans les amphibolites et les éclogites du Massif.

Aux ravins du Brévent en cristaux bacillaires

Aux Gaillands, en petits cristaux millimétriques.

Dans la vallée de Bérard.

À Finhaut, en petits cristaux, dans une fissure avec quartz et albite*8.

À Van d’en Bas, près Salvan, en cristaux verts, jusqu’à 40 mm*9.

Dans la région de Bovernier-Alpage.

Au Mont Chemin, dans les fissures des skarns, principalement au Couloir Collaud, mais aussi Chez Larze :

Massive, constituant parfois principal de la roche, avec « amiante » ; en beaux cristaux, de couleur verte très foncée, presque noire, transparents, souvent inclus dans la calcite*10, largement décrits par Kenngott, associés au stilpnomélane, à l’ « amiante », au quartz principalement. En cristaux allongés (mm), parfois à âmes, ou tordus et cicatrisés ; aussi dans les fissures avec quartz et « amiante ».

Au-dessus de la mine des Trappistes, en cristaux centimétriques avec quartz.

Dans les amphibolites du Catogne :

Au Pessot, sur le flanc nord, dans les fissures à axinite, en cristaux centimétriques verts à bruns, très rares.

En individus à âme, centimétriques verts noir (50 mm), au-dessus de Sur le Clou, avec quartz, « amiante » et micro apatites.

Sur le versant Champex d’en Bas, en cristaux centimétriques verts, bien terminés, avec « amiante » et quartz légèrement enfumé.

Sur lez versant Champex, en cristaux centimétriques avec quartz.

Au-dessus du tunnel de la Monnaie, en cristaux bien terminés sub-centimétriques noirs, parfois en bonnes inclusions dans le quartz, avec un peu d’hématite.

Elle est signalée depuis longtemps dans les moraines de la Mer de Glace, comme par Razoumovsky en 1784 : les morènes du glacier des Bois en Faucigny, un shorl vert*11, à aiguilles diversement croisées, parsemé de petits grains de mine de cuivre, hépatique ou pyrite brune*12 ; ou par Bérenger en 1786 : à la grotte de l’Arveiron… de petits fragments de shorl transparent avec du crystal de roche*13.

L’ensemble des fours dans la protogine (Bassin d’Argentière*14, de la Mer de Glace, de Talèfre, ou côtés suisses et italiens) fournissent épisodiquement des cristaux d’épidote, très souvent millimétriques, et passant alors inaperçus, plus rarement centimétriques, et souvent corrodés. D’après Poty, l’épidote se dépose précocement, lors de l’ouverture, de manière concomitante avec le quartz ; elle est donc souvent ensevelie dans le quartz sous forme d’inclusions ; enfin elle est rarement associée au quartz fumé :

À l’Aiguille de l’A Neuve, en petits cristaux millimétriques.

Avec fluorine rouge au Portalet, dans une association peu commune.

Près de la cabane C.A.S. de Trient

À l’Arête Charlet-Straton*15 : Ce gîte classique pour l’épidote a été découvert vers 1860 par le cristallier Mugnier d’Argentière, ainsi que le précise A. Favre : mon guide (Munier) a trouvé de belles épidotes, près de la croix, (représentée) dans la planche XVIII, figure 4

Les spécimens sont alors décrits par Venance Payot : une autre variété spéciale à cette chaîne, que je dédierai à Chamounix : la chamounite, qui diffère essentiellement par sa cristallisation et sa forme fortement comprimée en longs prismes aplatis, engagés dans les filons de quartz enclavés dans la protogine des Aiguilles d’Argentière*16. Situé à l’Arête Charlet-Straton, dans l’Aiguille d’Argentière, Poty décrit ainsi le gisement : le quartz forme de grands filons laiteux qui traversent horizontalement l’arête. Dans cette masse laiteuse, on distingue encore de grands individus qui ont poussé côte à côte en se gênant mutuellement ; ces cristaux atteignent couramment la taille de 600 mm et certains devaient même dépasser 800mm. Ces filons contiennent aux épontes des cristaux automorphes d’épidote décimétrique (jusqu’à 300 mm) ; il faut encore y signaler : l’adulaire, l’albite, la chlorite, (peu abondante) et la fluorine rose, elle aussi peu abondante.

Sur la Glacier du Chardonnet

A. Fabre a précisé aussi que les gros cristaux étiquetés Glacier d’Argentière provenaient, pour une large partie, d’un gisement dans la protogine de l’Aiguille du Tour Noir.

Au Glacier et aux Séracs de Talèfre.

Dans le vallon du Triolet, en aiguilles vertes avec adulaire.

Au Col du Géant, en aiguilles vertes dans le quartz.

Plus ou moins massive, à proximité du refuge Torino.

À la Pointe Helbronner, en petits cristaux verts*17.

La zone du Glacier de La Brenva est signalée depuis longtemps ; d’après Pedroni, les cristaux sont rares dans les roches erratiques de la moraine du glacier.

Aux Petits Rognons

Michel Lévy*18 et Duparc (dup22) ont souligné l’importance de la présence de l’épidote dans l’épidotite à béryl des Grands Charmoz ; il existe parfois de jolis prismes p, a1, avec trace des faces a2 et b1.

Dans la localité ancienne des Aiguilles des Charmoz, où elle est abondante en petits cristaux vert jaunâtre et transparents dans les fissures de cristaux de quartz, parfois avec quartz enfumé ; au Glacier de l’Étala.

Les fissures des amphibolites de la base des Aiguilles de Chamonix et du Mont-Blanc fournissent depuis longtemps de bons échantillons, aujourd’hui peu prospectés :

À la Filliaz*19, avec talc vert*20

À la Fontaine de Caillet*21, avec adulaire, axinite, et « amiante »*22.

En filonnets, à la base des granites sur la rive droite du Glacier des Pèlerins.

Dans les rochers et ravins de Mimont, au-dessus de Pierre Pointue et des chalets de la Para, en cristaux bacillaires, dans les veines de bissolithe, amiante.

Au Glacier des Bossons.

Sur la Montagne de la Côte, variété thallite*23

En cristaux aciculaires verts*24, dans l’autrefois célèbre gisement de l’Aiguille du Goûter, découvert le 15 septembre 1784, et ainsi décrit par Michel Gabriel Paccard : les rochers y sont chorliques-graniteux. On trouve des fragments des mêmes à Pierre Ronde et ils disent avoir pris à l’éguille du Goûter de christaux qu’ils ont. Ils disent avoir vu briller au rocher inaccessible au bout de leur carrière… »

En cristaux aciculaires gris, variété stralite*25, dans les gîtes perdus du Dôme du Goûter, avec du feldspath de Chamouny qui sont des adulaires*26.

Vers le sommet du Mont-Blanc*27 ; aux Petits Mulets, en cristaux bacillaires sur la protogine*28 ; aux Grands Mulets : épidote bacillaire en nids de delphinite ou shorl vert de Dauphiné non cristallisé, avec « asbeste », pyrite et adulaire ; aux Rochers Rouges, en spécimens découverts par de Saussure, lors de sa fameuse course, dans le granite.

Dans la zone classique*29 du Glacier de Miage : en beaux, voire parfois exceptionnels cristaux (70 mm) vert olive à vert jaune, vert noir, souvent gemmes, associés au byssolite et à l’adulaire. La zone a produit aussi de magnifiques individus à âmes (80 mm)*30. Les cristaux, très brillants, sont riches en faces.

Plus ou moins massive, avec quartz, dans un filon sur une arête parallèle au Col du Mont Tondu.

Notes :

1  : Séance de la Société de Physique de Genève, du 01/10 1801.

2  : Où elle sera encore signalée par Haüy dans sa minéralogie ; par Brongniart [Brongniart,1807, tome 1, page389] et par Hintze [Hansbuch der Mineralogie, 1889 – 1939, (partiellement posthume, puisque Carl Hintze décédait en 1916)].

3  : Drée, 1811, page 16 (marquis de Dréé, époux d’Alexandrine de Dolomieu, sœur de Déodat de Dolomieu ; de Dréé était lui-même collectionneur de minéraux).

4  : Leschevin, 1812, pages 281 et 282.

5  : Aujourd’hui disparu, il s’agissait de la partie « vallée de Chamonix » de la Mer de Glace.

6  : Mrazec L. et Duparc L., Sur l’origine de l’épidote, ASPN, 1901, 4, XI, pages 1 à 3 et tab.

7   : Roche majoritairement constituée par de l’épidote.

8  : Stalder, 1998, page 150.

9   : Gisement découvert par Gross, lors de l’élargissement de la route vers 1970.

10 : Permettant ainsi de belles extractions, après lavage à l’acide.

11 : D’après Razoumovski, cette épidote frottée devient légèrement phosphorescente [Razoumovski, 1784, 2, page 34].

12 : Il s’agit à n’en pas douter de pyrite plutôt que de chalcopyrite.

13 : Bérenger, 1786, page 81.

14 : Épidote thallite, signalée dans le bassin d’Argentière par Mortillet [Mortillet, 1858, page 117].

15 : Poulain, fiche BRGM, BBS, 1977, 0680-6X-4007.

16 : L’Aiguille d’Argentière est devenue vers 1860, l’Aiguille du Chardonnet.

17 : Guido Pedroni, Mineralogia della Punta Helbronner, RMI, 1991, XIV, 2, pages 91 à 95.

18 : Michel Lévy, 1890, page 13.

19 : Jurine et Brard, 1814.

20 : Chlorite ?

21 : Soret, 1820, page 352.

22 : L’épidote y est décrite par erreur par V. Payot sous le nom d’Idocrase ou vésuvianite.

23 : Mortillet, 1858, page 118.

24 : décrits sous le nom de tourmaline par Michel Carrier.

25 : Lire strahlite, ou rayonnante… [ndlr : d’après OMN, 2000 : strahl = quartz // Strahlite – strahlite commune – stralite = actinolite (ou épidote), réf. : Chester 1896 – Egleston 1892 – Chester 1896].

26 : Brochant, in Dictionnaire des sciences naturelles, Paris, 1820, tome 16, page 320.

27 : C’est de cette zone que proviennent les très anciens spécimens, indiqués comme provenant de Cervoz, par Borson ; ils avaient été probablement fournis par Deschamps ou Deville [Borson, 1811, page 160].

28 : Mortillet, 1858, page 118.

29 : Les spécimens qui en proviennent étaient souvent étiquetés Courmayeur.

30 : Le plus souvent d’une couleur presque noire, permettant de les différencier des spécimens provenant du Pakistan.

Éric Asselborn, Attignat, étude proposée en juin 2002.


Étude sondage 2011 sur les cristalliers

M-L Astier pour le club de minéralogie de Chamonix

Depuis cette année, les cristalliers qui vont se déclarer en mairie de Chamonix sont sollicités pour remplir un questionnaire. Lʼétude de ce questionnaire nous permet de mieux cerner QUI va chercher des cristaux dans le massif du Mont-Blanc.

En 2011, 89 cristalliers se sont inscrits en mairie ; en 2010, ils étaient 99.
Sur ces 89 inscrits, 77 ont répondu au questionnaire, dont 70 hommes et 7 femmes.
Et sur ces 77, 37 sont membres du Club de Minéralogie de Chamonix et des Alpes du Nord.
Sur ces 77 personnes, on compte : 69 français(e)s, et 7 étranger(e)s (4 autrichien(ne)s, 3 italien(ne)s, et 1 allemand).
On peut relever lʼexistence de 2 couples de cristalliers.
20 dʼentre eux ont une activité professionnelle en rapport avec la montagne (guides de haute montagne (10), accompagnateurs, moniteurs de ski, pisteurs-secouristes, gardien de refuge, employé des chemins de montagne, gendarme P.G.H.M. …).

Quant à leur localisation géographique, 44 résident à Chamonix ou à ses alentours (vallée de Chamonix et bassin de Sallanches), 11 habitent le département de la Haute-Savoie, 5 viennent de lʼIsère, et les cristalliers occasionnels (ou régulier) peuvent venir de beaucoup plus loin (Ain, Hautes-alpes, Rhône, Aveyron, Maine-et-Loire ; province de Turin, Allemagne ou Autriche pour les étrangers).
Et quant à leur tranche dʼâge, elle sʼétale de moins de 18 à plus de 60 ans. La très grande majorité des cristalliers ayant entre 25 et 59 ans (pour 66 dʼentre eux).
(2 ont moins de 18 ans, 2 ont entre 18 et 24 ans, 25 entre 25 et 39 ans, 19 entre 40 et 49 ans, 22 entre 50 et 59 ans, et 7 ont plus de 60 ans.
Sur ces 77 cristalliers, presque 100 % vont en montagne avec un ou plusieurs équipiers, 13 dʼentre eux y vont parfois seuls mais seulement 2 déclarent pratiquer lʼactivité en solitaire.
Ils sont 9 à rester prospecter en dessous de 3000 m dʼaltitude. Sur ces 9, certains dʼentre eux nʼutilisent même pas la corde et ne fréquentent pas de refuges. …

Dans ce questionnaire, il était demandé aux cristalliers dʼestimer le nombre de journées de prospection quʼils pensaient passer dans le massif durant la saison. Selon leurs réponses, les cristalliers ont été scindés en 4 groupes et les résultats de ce questionnaire ont été analysés en fonction de ce critère.
– 25 ont déclaré prévoir moins de 7 jours de prospection (dont les autrichien(ne)s, et 4 femmes) dont 7 membres du Club;
– 14 ont déclaré prévoir entre 8 et 15 jours de prospection (dont lʼallemand et 1 italien) dont 5 membres du Club ;
– 18 ont déclaré prévoir entre 15 jours et un mois de prospection (2 femmes dont lʼitalienne) dont 10 membres du Club ;
– et 20 ont déclaré prévoir plus dʼun mois de prospection (dont une femme et un italien), plus de 2 mois pour 12 dʼentre eux, dont 15 membres du Club.
Parmi les 25 cristalliers qui ont déclaré prévoir moins de 7 jours de prospection :
– 19 dʼentre eux vont “aux cristaux” dans dʼautres régions depuis plus de 10 ou 20 ans pour la plupart, et seuls 6 dʼentre eux ne pratiquent lʼactivité que dans le massif ; 18 dʼentre eux viennent dans le massif depuis moins de 3 ans ;
– la quasi-totalité pratique lʼactivité pendant leurs vacances et/ou leurs week-ends, tandis que 3 dʼentre eux y vont de façon plus régulière ;
– et seuls 4 dʼentre eux participent à des bourses aux minéraux en tant quʼexposants.
Parmi les 14 cristalliers qui ont déclaré prévoir entre 8 et 15 jours de prospection :
– 5 dʼentre eux ne pratiquent lʼactivité que dans le massif, tandis que 9 vont “aux cristaux” dans dʼautres régions ;
– 11 pratiquent lʼactivité pendant leurs vacances et/ou leurs week-ends, tandis que 3 dʼentre eux y vont de façon plus régulière ;
– et presque la moitié dʼentre eux participe à des bourses aux minéraux en tant quʼexposants :
bourse de chamonix et bourse des cristalliers, bourse de Grenoble…
Parmi les 18 cristalliers qui ont déclaré prévoir entre 15 jours et un mois de prospection :
– 15 dʼentre eux pratiquent lʼactivité depuis plus de 4 ans, 10 la pratiquent depuis plus de 10 ans ;
– 4 dʼentre eux ne pratiquent lʼactivité que dans le massif, et 14 vont “aux cristaux” dans dʼautres régions ;
– 11 pratiquent lʼactivité de façon régulière ; et 7 dʼentre eux y vont pendant leurs vacances et/ou leurs week-ends ;
– et plus de la moitié dʼentre eux participe à des bourses aux minéraux en tant quʼexposants :
bourse de chamonix et bourse des cristalliers, bourse de Grenoble ou de St Gervais,Ste-Marie-aux-Mines et/ou Munich…
Et parmi les 20 cristalliers qui ont déclaré prévoir plus dʼun mois de prospection :
– ils sont 18 à pratiquer lʼactivité depuis plus de 4 ans, 10 à la pratiquer depuis plus de 20 ans ;
– la moitié dʼentre eux ne pratique lʼactivité que dans le massif, et lʼautre moitié pratique aussi dans dʼautres régions, et ce, depuis plus de 10 ans pour la quasi-totalité dʼentre eux (depuis plus de 20 ans pour 6 dʼentre eux) ;
– 16 pratiquent lʼactivité de façon régulière ; et 3 dʼentre eux y vont pendant leurs vacances et/ou leurs week-ends ;
– et plus des 3/4 dʼentre eux participent à des bourses aux minéraux en tant quʼexposants : bourse de Chamonix (14) et bourse des cristalliers (6), bourse de Grenoble ou de St Gervais,Ste-Marie-aux-Mines et/ou Munich, ou autres bourses françaises et/ou internationales…

Après analyse, on peut, en gros, différencier deux catégories de cristalliers :
Les cristalliers qui vont “aux cristaux” durant leurs vacances et/ou leurs week-ends, pendant moins dʼun mois dans lʼannée : ils sont 39.
Pour beaucoup, cela fait peu de temps quʼils viennent prospecter dans le massif mais pour un très grand nombre dʼentre eux, cela fait de nombreuses années quʼils prospectent ailleurs.
Et ils sont peu nombreux à participer à des bourses aux minéraux en tant quʼexposants.
Les cristalliers qui pratiquent lʼactivité de façon régulière dans une grande partie du massif (fréquentation de plus de 2 refuges pour 30 dʼentre eux) et pendant plus dʼun mois dans lʼannée : ils sont 38, et plus des deux tiers dʼentre eux sont inscrits au Club de Minéralogie de Chamonix et des Alpes du Nord.
32 dʼentre eux habitent Chamonix ou ses alentours et beaucoup ont une activité professionnelle en rapport avec la montagne (16 dʼentre eux).
La moitié ne va prospecter que dans le massif du Mont-Blanc, et lʼautre moitié qui va chercher aussi ailleurs le fait depuis de très nombreuses années.
Et la majorité de ces cristalliers participent à des bourses aux minéraux en tant quʼexposants.

Cette étude ne prend en compte que les cristalliers qui se sont déclarés ET qui ont accepté de répondre au questionnaire.


Étude des questionnaires 2012 à l’intention des cristalliers et des chercheurs de cristaux

M-L Astier pour le club de minéralogie de Chamonix

En 2012, 82 cristalliers se sont inscrits en mairie ; ils étaient 99 en 2010 et 89 en 2011.

Depuis l’année dernière, les “cristalliers” qui vont se déclarer en mairie de Chamonix sont sollicités pour remplir un questionnaire. L’étude de ce questionnaire nous permet de mieux cerner QUI va chercher des cristaux dans le massif du Mont-Blanc.


73 questionnaires exploitables nous sont parvenus, ont été anonymés et étudiés.
Sur ces 82 inscrits, 74 ont répondu au questionnaire.
Il manque huit questionnaires à cette étude (soit ils n’ont pas été remplis par les signataires, soit ils ne nous ont pas été communiqués par la mairie).
Un signataire a refusé de remplir ce questionnaire.
Un questionnaire n’a pu être pris en compte dans cette étude car il n’a pas été complètement rempli.


Parmi ces 73 :
– 29 signataires sont membres du Club de Minéralogie de Chamonix et des Alpes du Nord,
– et 30 font partie d’un club de minéralogie autre.
Sur ces 73 personnes, on compte :
– 65 français(e)s et 8 étrangers (3 suisses, 3 autrichiens, et 2 allemands),
– 68 hommes et 5 femmes.


20 d’entre eux ont une activité professionnelle en rapport avec la montagne (guides de haute montagne (10), accompagnateurs, moniteurs de ski, pisteurssecouristes, gardien de refuge, employé des chemins de montagne, glaciologue…) et 3 sont géologues ou étudiant en géologie.


Quant à leur localisation géographique :
– 30 résident à Chamonix ou à ses alentours
(vallée de Chamonix et bassin de Sallanches) contre 44 l’année dernière,
8 habitent le département de la Haute-Savoie,
– 7 viennent de l’Isère,
– 3 de Savoie,
– et les chercheurs de cristaux occasionnels (ou réguliers) peuvent venir de beaucoup plus loin (départements 01, 21, 26, 31, 33, 39, 54, 63, 69, 78 ; Suisse, Allemagne ou Autriche pour les étrangers).


Et quant à leur tranche d’âge, elle s’étale de moins de 18 à plus de 60 ans.
La très grande majorité des cristalliers ayant entre 25 et 59 ans
(pour 59 d’entre eux).
(1 a moins de 18 ans, 4 ont entre 18 et 24 ans, 26 entre 25 et 39 ans, 9 entre 40 et 49 ans, 23 entre 50 et 59 ans, et 10 ont plus de 60 ans.)

Sur ces 73 cristalliers, presque 100% vont en montagne avec un ou plusieurs équipiers, 13 d’entre eux y vont parfois seuls mais seulement 4 déclarent pratiquer l’activité en solitaire.


Dans ce questionnaire, il était demandé aux signataires d’estimer le nombre de journées de prospection qu’ils prévoyaient cette année dans le massif, et durant quel laps de temps global.

Selon ce critère, un premier groupe s’est distingué :

Il s’agit d’un groupe de 28 personnes de tous âges (dont 3 femmes), déclarant prévoir moins de 7 jours de prospection sur une durée maximale d’une semaine, et pratiquant de façon exceptionnelle, pendant leurs vacances ou leurs week-ends.
On peut rajouter à ce groupe une autre personne déclarant prévoir entre 8 et 15 jours de prospection sur la durée maximale de ses vacances de 15 jours et répondant aux mêmes critères :
Pour la plupart, elles recherchent des cristaux depuis peu ou pour la première fois cette année dans le massif du Mont Blanc (pour 13 d’entre elles), mais pratiquent la recherche de minéraux dans d’autres régions (pour 18 d’entre elles) ; et ne participent pas à des bourses en tant qu’exposants (sauf pour 3 d’entre elles).
16 d’entre elles ne vont pas au-delà de 3 000 m et n’utilisent pas de corde, 8 d’entre elles ne font que des sorties à la journée.
Elles sont membres d’un club minéralogique pour 23 d’entre elles (3 au club de Chamonix et 20 adhérant à une autre association).
On peut également rajouter à cette première catégorie un groupe de 3 hommes (dont 2 appartiennent à un club) qui ont déclaré prévoir entre 8 et 15 jours de prospection sur la durée maximale de leurs vacances de 15 jours dont 2 allemands qui prospectent également dans d’autres régions depuis plus de 20 ans. Ces 3 hommes vont chercher au-delà de 3000 m, utilisent la corde et fréquentent les refuges. Il s’agit de vacanciers qui consacrent tout leur temps à la recherche de cristaux.

Ce premier groupe, 32 signataires au total, représentant plus du tiers des questionnaires étudiés, décrit des chercheurs de cristaux occasionnels souhaitant se mettre en conformité avec la législation en vigueur, pour le temps de leurs vacances qu’ils vont consacrer à la recherche de cristaux.



Concernant les 42 questionnaires restants, on peut différencier 2 types de prospecteurs, selon l’altitude des recherches :
Le premier groupe est composé de 7 signataires qui ne vont pas chercher au-delà de 3000 m mais prévoient de prospecter souvent pendant tout l’été
(plus de 15 ou 30 jours sur un laps de temps qui s’étale sur plus de 3 mois dans tous les cas). Ce sont des jeunes entre 25 et 39 ans ou bien des seniors de plus de 60 ans, principalement de Chamonix ou du département, membres du Club de Chamonix pour 3 d’entre eux. Ils y vont depuis peu, ou bien depuis plus de 20 ans et 5 d’entre eux cherchent aussi ailleurs.
3 d’entre eux ne font des sorties qu’à la journée et 5 d’entre eux ne fréquentent pas les refuges, l’un d’entre eux pratique en solitaire.


Pour le deuxième ensemble, deux catégories ont été regroupées : ces deux catégories correspondent dans une très large mesure aux mêmes critères, elles se différencient seulement selon le cadre dans lequel les cristalliers déclarent pratiquer leur activité, à savoir lors de leurs vacances et/ou week-ends ou bien de façon plus régulière :

11 signataires prévoient de 8 à 15 jours de prospection étalés sur 2, 3 mois ou plus dans le cadre de leurs week-ends et/ou leurs vacances.Ils sont haut-savoyards ou des départements avoisinants (+ 1 suisse), 3 d’entre eux ont un métier en rapport avec la montagne.
Ils cherchent ici et ailleurs depuis peu ou longtemps, et 8 parmi les 11 adhèrent à un club de minéralogie (de Chamonix pour 3, autre pour 5).
Ils prospectent tous à plus de 3 000 m d’altitude, fréquentent tous plusieurs refuges, dorment quasiment tous en bivouac.
Seuls 3 d’entre eux exposent dans des bourses.
L’un d’entre eux y va seul.

23 signataires (dont 1 femme) pratiquent cette activité de façon plus régulière, prévoyant de passer de 15 à 30 jours voire plus dans le massif, sur la saison complète (période de 2, 3 mois ou plus). Prospectant également dans d’autres régions pour la moitié d’entre eux, ils cherchent tous dans le massif depuis plusieurs ou de nombreuses années. Ils s’aventurent bien sûr tous au-dessus de 3 000 m d’altitude, fréquentent presque tous plusieurs refuges et dorment quasiment tous en bivouac. Aucun d’entre eux n’y va seul.

Parmi ces 23 personnes, 16 sont membres du Club de Minéralogie de Chamonix, 3 sont membres d’un autre club. Plus des trois quarts participent à des expositions comme celle de Chamonix, la bourse des cristalliers, les bourses locales ou plus lointaines.
Tous sont haut-savoyards ou des départements avoisinants (16 habitent la vallée de Chamonix ou le bassin de Sallanches, 3 viennent de plus loin dans le département, 1 de l’Isère, 1 de Savoie, 1 du Rhône et 1 de Suisse).
On dénombre 9 guides et 4 autres personnes ayant un métier en rapport avec la montagne.

En conclusion, on peut différencier 3 grandes catégories de chercheurs de cristaux :

Les chercheurs occasionnels qui peuvent venir de loin et qui souhaitent se mettre en conformité avec l’arrêté municipal pour leur court séjour, c’est le cas de 32 personnes.

– Les chercheurs locaux qui ne montent pas au-dessus de 3 000 m mais qui peuvent effectuer de nombreuses sorties durant toute la saison estivale, ils sont 7.

– Les cristalliers locaux ou régionaux qui vont aux cristaux de façon assidue sur l’ensemble du massif depuis plusieurs ou de nombreuses années : 34 personnes dont 19 au Club de Chamonix, 10 guides, 2 suisses et les 2/3 participant à des bourses.

Rappel : cette étude ne prend en compte que les cristalliers qui se sont déclarés et qui ont accepté de répondre au questionnaire.


Quartz tournés, gwindels et sucres

(Eric Asselborn1)

Avec la fluorine rouge, il n’y a pas de doute que les gwindels soient les objets minéralogiques les plus intéressants découverts dans le massif2. Si les règles de la croissance initiale des quartz tordus n’est toujours pas élucidée, leurs morphologies et croissances secondaires sont aujourd’hui bien définies. Nous avons rassemblé ici les données d’histoire naturelle les plus récentes.

Les gwindels

Les mots gwindel ou peigne sont indifféremment utilisés par les cristalliers du massif ; gwindel signifie « vissé » en langue uranaise3.

Les premiers termes utilisés pour désigner ces individus cristallins particuliers, sont de langue allemande : gestrählte crystal, gedrehte quartz, gewissen quartz, gewundene quartz, de même étymologie que gwindel ou quindel ; en langue anglaise Ruskin évoque les screw-quartz; en langue française ont été utilisés les termes de quartz tourné, quartz tordu, quartz vissé; au tournant des XIXème – XXème siècle les cristalliers de Chamonix parlent de mains. Tous ces termes évoquent donc un fait qui a frappé depuis longtemps les cristalliers suisses : ces cristaux montrent un aspect hélicoïdal, donc « vissé ». Les gwindels fermés sont dits geschlossen, et sucres à Chamonix.

Historique du mot peigne

Le mot peigne apparaît à Chamonix dans les années 60. Il est ambigu car d’autres peignes existent en géologie-minéralogie : structure filonienne en peigne, correspondant peu ou prou à des croissances à âmes parallèles; peigne des collectionneurs du Dauphiné, correspondant à des individus à croissance à âme. Le mot sucre, synonyme de peigne fermé apparaît lui aussi dans les années 60, par analogie au morceau parallélépipédique de sucre de 5g à la française.

Définition

Un peigne est un cristal de quartz formant un individu aplati avec deux grandes faces disposées en hélice autour d’un axe parallèle à ces mêmes faces ; ces individus sont généralement terminés par une arête plus ou moins tordue, et par une multitude de pointements pyramidaux.

Historique

Les anciens

Gessner4 semble déjà les connaître, et décrit un individu ou crystal dont la pointe a une partie étroite, et dont la plus grande partie du corps est tordu. En 1708, le grand naturaliste Scheuchzer5 sait que les crystalliers ou crystallarii des Alpes Suisses nomment Gestrâlte Crystall des individus particuliers : dans ceux-ci on note en général que les plans n’ont pas toutes leurs parties situées sur le même plan, mais sur plusieurs décalés par rapport à celui du dessus; le cristal est formé de doigts épais de deux pouces de large pour quatre de haut, des monticules surgissant comme des racines, en pointe sur les côtés. Toujours selon Scheuchzer, le fameux Steno6 a lui aussi repéré un gwindel, qu’il appelle crystal dans lequel naissent des plans inégaux, semblables aux degrés des échelles; il ajoute qu’on peut remarquer que le crystal qui est en général plat dans de nombreux lieux, n’est pas plat mais convexe.

Au XVIIIème siècle ils sont déjà recherchés comme une curiosité dans les naturalistes suisses pour leurs cabinets; Storr7, un des plus grands collectionneurs de quartz du temps, en possède un qu’il fait dessiner, qui lui a été vendu par Michel Paccard8 ; Andreae9 sait qu’ils existent, mais ne les décrit pas.

Les savants

La description savante princeps d’un gwindel revient à Weiss à 1836, sur des spécimens du Gothard. Leur étude est régulièrement reprise, comme par Haidinger [1854], Fieusch [1882], Tschermak [1894]; Descloizeaux en donne la première description en langue française en 1862 dans son Manuel de Minéralogie, reprise par Lacroix dans sa minéralogie de la France, et, grâce, entre autres, à Albert Brun10, il sait qu’ils existent dans le Massif.

Les amateurs

Au XIXème siècle, les amateurs, tous spécialement britanniques, ne sont pas très intéressés par les peignes: Ruskin11 possède quelques screw-quartz, mais ne les évoque pas dans son traité sur la silice12.

En 1911, Fontaine13 savamment renseigné par Albert Brun, évoque les peignes du massif, d’une manière tout à fait inopinée : lors de la première de l’Aiguille Ravanel, le 22 août 1902, ses guides Ravanel-le-Rouge et Tournier se muent illico presto en cristalliers, et vident un four. Il contient des cristaux de quartz de forme bizarre… les plus beaux avaient environ dix centimètres de longueur, qui sont choisis de préférence transparents, furent remarqués à cause de la netteté de leur torsion hélicoïdale; leur teinte foncée rappelait celle plus ou moins intense du noir de fumée.

Fontaine revient plus loin sur ces cristaux bizarres: ce sont des macles polysynthétiques, lesquelles, dans le langage des cristalliers, portent le nom plus commun, mais non moins significatif de « mains ». Parmi ces macles s’en trouvaient de cintrées, par torsion ou autrement, les unes dextrogyres et les autres lévogyres, le tout réuni dans le seul endroit examiné.

En cristaux isolés, groupés, tapissant les parois des filons, l’un des groupements les plus remarquables est celui que présentent les cristaux tordus des Alpes Suisses: ces cristaux, généralement enfumés, sont des assemblages, fortement aplatis suivant une face et, d’un nombre plus ou moins considérable d’individus maclés par pénétration. Les innombrables pièces qui font des faces libres de ces individus une véritable marqueterie ne se trouvent plus alignées sur des plans parallèles, comme dans les macles ordinaires. Il semble qu’au moment de sa consolidation, toute la masse ait subi la torsion de deux mains glacées obliquement l’une au-dessus de l’autre, de manière à former une hélice dont l’axe serait parallèle aux arêtes verticales du prisme a2.

Morphologie des peignes

Les peignes sont caractérisés par la prédominance de deux faces du prisme M (1010), disposées en hélice avec une torsion selon l’axe a ; le rhomboèdre positif r et le rhomboèdre négatif z « ferment » l’individu, terminé par deux faces du prisme m; les deux faces m sont séparées par une arête S, en forme de S très aplati.

Dans cette vue de dessus apparaît. la torsion totale de l’individu φa, prise entre la « base » et l’arête sommitale en S aplati. Le trapézoèdre positif X (5î61) est quasi constant, souvent de grande taille ; le trapézoèdre négatif, signalé par Poty, est rare ; le trapézoèdre peut exister sur lesdeux prismes m terminaux.

Le rhomboèdre positif r est toujours de grande taille, par opposition au rhomboèdre négatif z qui est généralement deux fois plus petit : les peignes sont donc dissymétriques.

Certains individus sont très allongés, avec h > 2.l sont dits hauts; les autres sont dits courts.

Les cristaux bi-terminés sont rares, ils montrent alors une « base » similaire à leur terminaison.

Diagnose

L’individu est terminé par deux faces du prisme m, séparées par une arête qui n’est jamais droite, en S très aplati et qui n’est pas parallèle aux faces M : cette anomalie, et elle seule, donne le diagnostic de peigne.

Peigne ou sucre ?

Tschermak a le premier, décrit trois types de quartz tordus:

– Les cristaux fermés ou sucres:

Il s’agit d’un seul individu aux faces courbes et régulières, montrant un profil globalement carré ou rectangulaire; on retrouve donc deux grandes faces M à surface hélicoïdale, souvent profondément modifiées par le trapézoèdre x; «la terminaison» est constitué de deux petites faces m, plus ou moins « rabotées » par le trapézoèdre ; enfin deux faces r et z ont une grande extension, formant une arête courbe, que nous appellerons Ω.

– Les cristaux ouverts ou peignes:

Il s’agit d’individus composites, formés de sub-individus normaux, à axe a commun, mais dont les faces m sont légèrement décalées les unes par rapport aux autres, toujours dans le même sens, en escalier. La néo-arête Ω n’existe plus, elle est discontinue, constituée d’une suite de pyramides de taille irrégulière, harmonieusement décalées et orientées avec la sous face M’ homologue. Dans certains cas, le cristal est très ouvert et il n’y a quasiment plus qu’un seule terminaison pyramidale, englobant toutes les autres.

(GAUTRON et al., 1999)

– Les cristaux semi fermés:

Ils présentent des caractères intermédiaires: une arête fermée, et une arête ouverte.

Diagnose

Si Ω est linéaire ou édenté, il s’agit d’un sucre, si Ω est discontinu, il s’agit d’un peigne.

Droits ou gauches?

Les gwindels montrent des caractéristiques physiques particulières, liées à la rotation selon l’axe a :

– Ces individus peuvent êtres droits ou gauches selon leur axe de rotation ; ils sont dits, respectivement, dextrogyres ou levrogyres.

Pris en main, un cristal droit « tourne » a droite, dans le sens inverse des aiguilles d’une montre, la face X est à droite, et inversement.

Rotation, pas et épaisseur

Un sucre a une épaisseur notée d.

On peut mesurer facilement la torsion totale de l’individu φa, prise entre la « base » et l’arête sommitale en S aplati. La torsion totale, divisée par la longueur l, donne le pas μ, variable selon les mesures de 0,02° – 0,05°.mm-1.

φa est éminemment variable entraînant donc une variation de μ :

-Il varie d’un individu à l’autre ; il est généralement peu marqué; les cristaux très tordus sont rares.

-Il peut varier sur un même individu, augmentant généralement vers la terminaison.

-Il semblerait, selon certains auteurs, que dans un même four, on peut observer que les peignes ont tous le même pas ?

La mesure de nombreux spécimens montre qu’il existe une relation entre la torsion, la longueur et l’épaisseur, énoncée suivant cette formule :

φa = k.h/d

k est donc une constante [constante de Tschermak].

K = -0,101° + 3,980°

Quelques anomalies

De rares individus montrent des morphologies inhabituelles :

– Des lamelles de croissance développées sur certaines hémifaces M.

– Des stries hélicoïdales sur les mêmes faces r.

De cette formule on déduit aisément que si le cristal est haut et peu épais, il est bien vissé14; à l’opposé si il est court et épais, il est faiblement tordu, h devient égal à 2d, et φa, devient très faible: l’arête sommitale est discrètement tordue, et sur les faces M, on ne repère plus la torsion que par réflexion.Couleur

La couleur des peignes du massif est celle des cristaux « normaux » qui les accompagnent : cristal de roche, blanc laiteux, un peu enfumé, fumé gris ou rouge, et morion.

Dans certains fours, les peignes montrent parfois une bande médiane légèrement plus claire : nous y reviendrons.

Enfin, des peignes améthysés sont connus dans le massif, comme au Ziggenstock; ils ont été trouvés pour la première fois dans le massif par Georges Bettembourg15.

Le sous-habitus Mont-Blanc

Dans le massif les peignes sont le plus souvent épais et « courts » [malheureusement], donc peu tordus ; on rencontre aussi, peut-être plus qu’en Suisse, et en tout cas qu’en Russie des habitus en massue. La base du cristal est moins large, et un peu moins épaisse, que ne l’est le sommet.

Morphologie des sucres

Si on l’a vu, ils intriguaient ça et là quelques naturalistes, il revient à Tschermak [1894] de les avoir mis en évidence, sous le nom de quartz fermé; il n’en reste pas là et mesure l’angle de rotation φa; malheureusement il ne perçoit pas la spécificité des cristaux fermés, et mesure indifféremment des peignes et des sucres, et même des quartz à âme : en conséquence ses résultats sont imprécis.

Laemmlin découvre que les individus fermés sont sans doute « l’image » du germe tordu originel, et un certain nombre de minéralogistes tentent de ne refaire des mesures que sur des sucres, tache rendue ardue par leur rareté.

« Sucre jeune » et « sucre vieux »

On doit à Zorz, le fait d’avoir mis en évidence deux familles de quartz fermés: un premier groupe comprenant des individus longs, peu épais, « bien tournés », « jeunes »; un second groupe avec des cristaux courts, aussi longs que larges, plus épais,
« peu tournés », « vieux » ; il existe des formes intermédiaires.

L’examen soigneux de ces sucres jeunes et de ces sucres vieux montre qu’en fait s’il existe bien deux types de sucres, Zorz s’est trompé dans leurs dénominations : la durée de la croissance n’est pas en jeu, mais qu’il s’agit plutôt de deux types de cristaux fermés : des cristaux courts d’une part, et des cristaux longs d’autre part.

De fait l’examen attentif des sucres montrent que ceux ci peuvent être « jeunes », et ainsi ressembler au plus près au germe initial, soit être « vieux », montrant une croissance secondaire importante, mais qui n’a pas eu le temps d’affecter l’arête Ω qui reste « édentée ».

(Modifié d’après GAUTRON et al., 1999)


La croissance des peignes longs

Une croissance en quatre phases

La croissance des gwindels se fait en trois phases, plus une accessoire ainsi que l’ont montré les travaux de Laemmlin [1937], Poty [1969] et Zorz [1994].

Laemmlin

Il fait partie des pionniers dans l’utilisation des rayons X pour l’étude des quartz tordus ; il correspond avec le minéralogiste suisse Nowacki [1936] qui, le premier, a étudié un gwindel aux rayons X.

Il démontre que les gwindels sont le résultat d’une croissance en deux phases : il y a d’abord la formation d’un sucre, puis, secondairement une nouvelle cristallisation, « emboîtée » autour de ce sucre, qui sert de fil guide. Cette enveloppe ou croissance secondaire est formée de quartz macromosaïque, suivant un principe similaire à celui qui explique la croissance des cristaux de quartz selon une âme, dits quartz à âme. On en déduit rapidement que seule la formation du dit sucre est génétiquement fondamentale, et que la deuxième phase, très commune dans la nature n’explique pas la torsion…

La nature du germe appartient au type micro-mosaïque.

Première phase : croissance d’un germe tordu.

Pour des raisons aujourd’hui inconnues, il pousse dans une cavité un germe tordu; celui-ci a clairement l’habitus d’un sucre jeune. On peut en déduire que certains sucres jeunes sont en fait le germe tordu.

La morphologie externe de ces sucres jeunes est celle des cristaux fermés de petite taille de forme « très pure » ; rappelons que le germe est définitivement conservé dans les enveloppes de quartz de dépôt postérieur; on le « voit » en cathodoluminescence. Il n’est pas impossible que la zone claire médiane, visible sur certains individus enfumés en soit l’image directe, zone chimiquement pure, donc pauvre en aluminium, et « prenant » moins bien l’irradiation.

Deuxième phase : le sucre.

Autour de se germe croit une enveloppe de quartz, macromosaïque, qui respecte globalement la forme du germe initial, donnant ainsi un sucre. Poty en a décrit la croissance : les faces du rhomboèdre négatif étant plus petites que celles du rhomboèdre positif, ce sont celles qui croissent les plus vite, et donc celles qui commandent la croissance de l’individu; les faces du prisme sont encore plus grandes, leur croissance est donc commandée par les rhomboèdres.

Au total, si les sucres jeunes sont globalement très ressemblants au germe initial, les sucres vieux sont déjà profondément modifiés, et ne sont en fait que des peignes jeunes.

Troisième phase : le peigne.

Cette croissance secondaire est le produit d’un type de cristallisation plus rapide et fondamentalement différent : il s’agit de quartz macromosaïque « normal», plutôt harmonieusement « empilé » sur le sucre. Les faces de ce nouvel individu sont donc vissées à l’identique du cristal initial. On note aussi, que plus la croissance secondaire est importante, plus les nouveaux dépôts de quartz s’individualisent en individus normaux, donnant un empilement hélicoïdal de sous individus disloquant les faces mp en créant des décalages en marches d’escalier; Ω devient un alignement irrégulier de pointements pyramidaux r. Il faut noter que le « vissage » « se projette » en avant – ou en arrière – du sucre initial, et ne s’arrête pas au niveau de la terminaison du germe.

(Modifié d’après GAUTRON et al., 1999)

La croissance des peignes courts.

Quatrième phase : le peigne améthysé.

Dans certains cas exceptionnels il existe une ultime croissance accessoire, encapuchonnant le peigne d’une incrustation de quartz lamellaire, facilement repérables : ce sont les peignes améthysés.

La genèse du germe tordu

L’origine de la croissance « tordue » des gwindels n’est pas connue; tout juste peut-on noter quelques faits, passer au crible les anciennes hypothèses génétiques et en émettre de nouvelles.

Les faits

La géologie

Les peignes ne se rencontrent que dans des fissures à minéralisation typiquement alpine, et l’habitus des minéraux contenus dans les fentes alpines est strictement lié à une phase géologique particulière : le rétro métamorphisme alpin; la minéralisation est de type hydrothermal. On trouve des gwindels dans les Alpes [Italie – France – Suisse – Autriche]; très récemment au Pakistan; à la mine d’or de Morro Velho et à Diamantina au Brésil; enfin en Oural polaire et peut-être à l’ouest de Kazbek dans le Caucase. Zorz a décrit des gwindels peu nets à Busovaca et Berovo dans l’ancienne Yougoslavie16.

Dans les Alpes, à côté des découvertes dans fours classiques du granite des massifs centraux, où ils peuvent êtres relativement communs, des paragénèses différentes, développées dans des roches faiblement métamorphisées existent : au Cavradi, à l’Alpe Cavrein…

Les fours

Depuis toujours les cristalliers ont noté que, généralement, un four qui produit un gwindel peut en produire beaucoup : certains fours de la zone Giuv – Strem peuvent en produire des centaines, la proportion quartz tordu / quartz non-tordus s’inversant!

On manque d’observations fiables pour confirmer certains écrits :

– Tous les gwindels d’un même four présenteraient le même pas,

– Les sucres sont présents dans des « recoins » de la cavité, loin de la zone d’ouverture principale, ou dans une cavité de taille réduite.

– Il semble aussi que les fours produisant des sucres hauts ne sont pas les mêmes que ceux qui produisent les peignes courts; tantôt un four va produire surtout des individus longs, tantôt des courts.

La formation des cristaux tordus est un phénomène précoce et de courte durée relativement à la croissance des cristaux d’une géode.

La matrice

Les peignes sont presque toujours implantés orthogonalement à la matrice, et très rarement bi-terminés; quand ils le sont la terminaison « à la base » est plutôt-de type cicatricielle ou skar-quartz.

Les quartz tordus selon l’axe c.

Les travaux de Vollenweider ont montré qu’en fait, probablement tous les cristaux de quartz de type macro mosaïque, d’un diamètre inférieur à environ Ø 50mm, sont tordus selon l’axe c, mais le plus souvent cette torsion est imperceptible à l’œil nu; seuls de très rares spécimens montrent cette torsion de manière macroscopique !

Les cristaux prismatiques de quartz lamellaires ne sont jamais tordus17. La structure macro mosaïque du quartz générerait donc spontanément un vissage !

Les anciennes hypothèses

Quelques minéralogistes ont essayé de percer le secret des gwindels ou plus globalement des cristaux tordus : Haidinger [1854], Bernauer [1929], Fiosicky [1933], Frondel [1936, 1962, 1978], Lammlein [1937], Friedlander [1951], Poty [1969] ou Fehlmann…

Les macles vicinale d’Haidinger.

Haidinger émet l’idée qu’il pourrait s’agir de macles vicinales avec torsion hélicoïdale; les études aux rayons X montrent qu’il ne s’agit pas de macles.

Bernauer

Il n’est pas spécifiquement intéressé par le la torsion du quartz, mais il fait l’inventaire de nombreux produits organiques vissés.

Laemmlin

Pour lui la polarité des cristaux de quartz joue un rôle important : comme le gwindel est allongé selon l’axe a, le bout libre de l’individu correspond toujours à l’extrémité positive de cet axe; la vitesse de croissance d’un cristal de quartz est plus rapide dans la direction positive que dans la direction négative. Poty ajoute que la faible teneur en CO2 des germes augmente probablement la polarité selon l’axe a.

Frondel

Pour lui la torsion est analogue à celle des quartz fibreux, ou calcédoines.

Zorz

La torsion serait due à la pyroélectricité du quartz, qui en fait n’existe pas…

Les peignes du Massif

Si le premier gwindel helvète figuré apparaît dans le faux ouvrage de Scheuchzer, l’Ourosiphoites Helveticus de 1708, incontestablement la première belle représentation (et la seconde connue?) a été publiée par Storr en 1784 ; il s’agit d’un dessin d’un peigne haut, provenant des aiguilles de Chamonix, et découvert par le cristallier Michel Paccard. Comme nous l’avons vu plus haut, les peignes du massif quittent alors la littérature pour une centaine d’années… et ne plus jamais être représentés avant les dessins d’Armand Comte pour le bulletin du Club de Minéralogie de Chamonix!

Les découvertes de peignes dans les fours de la protogine du Massif sont aujourd’hui communes; malheureusement ceux-ci sont presque toujours courts et très ouverts, de telle sorte que les individus épais, où la hauteur est égale ou inférieure à la largeur, et donc à faible torsion, fumés a morions, largement chlorités, sont presque typiques de la marque de fabrique de nos Alpes !

Les sucres du Massif

Les sucres du massif ont intéressé depuis très longtemps les naturalistes, et il semble probable que les plus anciennes descriptions de quartz fermés sont celles qui ont été faites sur des échantillons de la région !

En effet, dès 1779, Pini18 décrit un spécimen évoquant un sucre : il explique qu’il a obtenu aux Glacières de Chamonix de Michel Gabriel Paccard19, des cristaux quartzeux transparents… ce sont des rhomboïdes accumulés, coupés obliquement par deux plans de manière qu’il rassemblent à des pierres à fusil taillées.

Mémoire sur des nouvelles cristallisations de feldspath et autres singularités renfermées dans les granites des environs de Baveno, Milan, 1779.

Le 15 juillet 1802, N.T. de Saussure20 décrit un quartz plagièdre alterne, dont le dessin dû à Gosse21, correspond formellement à un sucre vieux.

Albert Carrozi, Histoire des Sciences de la Terre entre 1790 & 1815 vue à travers les documents inédits de la Société de physique et d’histoire naturelle de Genève, Mém. S.P.H.N., Genève, 1990, 45, 2.

Aujourd’hui les sucres sont peu abondants dans le massif, et les sucres hauts sont rares.

Notes :

1. Dr. Eric Asselborn, […] Remerciements particuliers à Gérard Dolino et Pierre Bastie pour les discussions et la relecture.
2. Nous emploierons le terme de massif pour désigner l’ensemble des roches de type xxx du massif du Mont Blanc.
3. C’est à dire les habitants du canton d’Un i en Suisse, première source avec les Grisons, de cristal, dans les Alpes.
4. Conrad Gessner [1516-1565], botaniste, médecin & naturaliste de Zurich ; on lui doit un des premiers écrit en minéralogie : De omni rerum fossillum , 1565. Son célèbre cabinet est passée à Félix Piatter.
5. Johann Jakob Scheuchzer [1672 -1733] médecin 84 naturaliste zurichois ; il parcourt de 1702 1710 les Alpes helvétiques, qu’il décrit dans ses ouvrages, éveillant ainsi la Suisse à l’histoire naturelle, et gagnant une grande renommée européenne. On lui doit de nombreux ouvrages, tant d’érudition que minéralogiques, tout particulièrement sur le crystal.}
6. Niels Steensen dit Nicolaus Stenon ou Steno[1638-1686]), anatomiste et géologue danois, installé en Italie. Son ouvrage De solido intra solidum 8m. dissertationis prodromus, Florence, 1669, est le premier ouvrage de cristallographie connu. ,
7. Gottlieb Christian Storr [1749-1811], médecin et naturaliste de Tübingen ; la majorité de ses travaux portent sur la zoologie et la pharmacie. Son cabinet est riche de 1ooo échantillons de quartz en 1780. il ‘ visite Chamonix, semble t’il en 1765.
8. Michel Paccard dit le doyen [17/02/1733 -z1/11/181z], guide, contrebandier, jacobin ; il est avec son frère François un des plus grand cristallier de tout les temps, inventeur du commerce naturaliste à Chamonix, il possède vers 1780 un cabinet d’histoire naturelle qui montre pour la première fois au  monde, des bouquetins.
9. Johann-Gerhard-Reinhard Andreæ [1724 – 1793], chimiste et naturaliste de Hannovre; il possède une des plus riche collection d’Allemagne: il s’intéresse aussi au quartz du massif.
10. Albert Brun [1857 – 1939], pharmacien, minéralogiste, alpiniste, vulcanologue, collectionneur de Genève.
11. John Ruskin [Londres, 08/02/1819 – Coniston, 20/01/1900], écrivain et critique d’art britannique; ardent amateur de minéraux, il obtient la permission d’arranger à son goût la vitrine quartz du British Museum ! Amoureux de Chamonix, il y fait de nombreux séjour; il est l’ami du grand cristalier Joseph Marie Couttet [9/10/1791 – 11/01/1877].
12. Catalogue of a series of specimens in the British Museum (Natural History) : illustrative of the more common forms of native silica, Orpington, 1884 ».
13. Emile Fontaine [1859-1943], négociant puis grand alpiniste; venu assez tard à la montagne, il s’installe dans la région de Chamonix, où il est l’ami des guides. Son influence est grande : de 1898 à 1905, il pousse un petit groupe de guide vers << la haute difficulté >>, et révèle le fameux Joseph Ravanel, dit le rouge. Son grand intérêt pour la culture alpine, et pour le monde des guides, le pousse à s’intéresser aux cristaux et aux fours.
14. Le collectionneur passionné qui souhaite trouver un individu montrant une torsion totale φa = 90°, soit un peigne ou l’arête sommitale est orthogonal à la base, doit donc chercher un individu très long et peu épais; pour 120 mm de long, d = 53mm, soit un demi centimètre ! Une torsion de 180° ne serait obtenu que si h valait 4.5 fois d !
15. Georges Bettembourg [1950-18/08/1983] guide et cristallier de Chamonix, du clan Charlet; il est un des inventeurs de la prospection par « alpinisme acrobatique ».
16. Les quartz tordus décrits à Carrare ou Plan du Lac sont bien sûr des quartz à âme.
17. P. Vollenweider, Quartz du Bächistock UR, « Une surprenante découverte ! », CS, 1986, 7, 7, pp 321-330.
18. Ermenegilde Pini [1739-1825], père barnabite de Milan; célèbre minéralogiste et naturaliste, il visite Chamonix en août 1778, où il rend visite à la famille Paccard et inspecte la collection naissance de Michel Gabriel.
19. Michel Gabriel Paccard [1757-1827], médecin et naturaliste de Chamonix, vainqueur du Mont-Blanc, avec son porteur Jacques Balmat. Il possède un petit cabinet d’histoire naturelle.
20. Nicolas-Théodore de Saussure [1767-1845], naturaliste de Genève, fils du fameux géologue Horace Benedict; il est alors un des grands savants qui explore inlassablement la vallée de Chamonix.
21. Henri-Albert Gosse [1753-1816], pharmacien et naturaliste de Genève; il est un des grands explorateurs de la vallée de Chamonix.

Référence :

GAUTRON L.,ZORZ M. (1999). La pyroélectricité à l’origine des quartz tordus. Le Règne Minéral, hors série V, 45-52.


La structure macromosaïque des quartz du Mont-Blanc

Gérard Dolino et Pierre Bastie

Laboratoire de Spectrométrie Physique (UMR CNRS 5588)

Université Joseph Fourier Grenoble I, BP 87, 38402 Saint Martin d’Hères cedex

(gerard.dolino@ujf-grenoble.fr)

INTRODUCTION

Le massif du Mont-Blanc est un site important dans le monde de la minéralogie, comme en témoigne l’ouverture récente du Musée des Cristaux de Chamonix : en raison de leur abondance dans ce massif, les cristaux de quartz y occupent une place prépondérante. Cet article a pour but de faire le point sur l’étonnante structure macromosaïque, caractéristique de la grande majorité des cristaux de quartz du Mont Blanc. Dans le n° 46 de novembre 1993 du Bulletin du club, Frédéric Latil a réussi a résumer, en trois pages de texte (accompagnées de nombreuses figures), l’essentiel des propriétés très particulières des cristaux de quartz du Mont-Blanc. Dans un autre article du présent bulletin, Éric Asselbom fait une revue détaillée de nos connaissances sur les quartz tordus, un sujet intimement lié a celui de la structure macromosaïque décrite dans notre article. Après une courte introduction historique, nous allons rappeler les travaux, peu nombreux, consacrés à la structure macromosaïque des quartz alpins, observée d’abord dans les cristaux des massifs cristallins de la Suisse et plus récemment du Mont-Blanc. Enfin nous présenterons quelques résultats obtenus récemment à Grenoble sur ces quartz par des mesures structurales, utilisant les rayons X.

BREF HISTOIRE DU QUARTZ

La collecte des cristaux de quartz dans les Alpes est une activité ancienne, comme le montre la découverte de pointes de flèches et d’outils préhistoriques en quartz. Ce cristal a ensuite été utilisé dans l’Antiquité pour fabriquer des objets religieux ou artistiques. L’utilisation du quartz alpin (provenant surtout de Suisse, car plus facile a récolter que dans le Mont-Blanc) s’est développée à partir de la Renaissance : les plus belles œuvres d’art, qui ont fait partie des trésors royaux ou princiers se trouvent maintenant dans les musées (par exemple, la galerie d’Apollon au Louvre). Au 18ème siècle l’intérêt pour les cristaux s’est élargi aux personnes cultivées et fortunées et de nombreux cabinets de sciences naturelles ont fait leur apparition, accompagnant le développement de la science des minéraux en Europe. Une étape importante pour cette discipline a été la découverte de la constance des angles entre les faces des cristaux. Pour le quartz, cette propriété est déjà discutée par Sténon (1669), puis ensuite par Romé de l’Isle (1783). Au cours du 19ème siècle, l’intérêt scientifique pour les cristaux de quartz s’est poursuivi avec l’étude de ses propriétés optiques (biréfringence et pouvoir rotatoire) et de sa morphologie (cf. le célèbre mémoire de Descloizeaux en 1859). La théorie du réseau cristallin périodique, développée par Hauy (1806) et Bravais (1849), est définitivement confirmée par les expériences de diffraction des rayons X de Laue et collègues (1912). Enfin la découverte de la piézoélectricité par Jacques et Pierre Curie (1880) donne au quartz une place importante dans la technologie du 20ème siècle. Dans les pays développés, chacun porte maintenant une montre avec un petit cristal de quartz ; ce cristal est aussi présent dans de nombreux autres objets de la vie quotidienne (ordinateur, téléphone portable). Ces composants sont maintenant fabriqués a partir de quartz synthétique, ce qui a beaucoup réduit l’importance économique du quartz naturel monocristallin (provenant auparavant essentiellement du Brésil, de Madagascar et de l’Oural). En conséquence, l’intérêt scientifique pour le quartz naturel a beaucoup diminué et le quartz (comme la plupart des autres minéraux) est devenu le domaine privilégié des collectionneurs, ce dont témoignent de nombreux livres et revues, consacrés aux merveilles du monde minéral.

L’information la plus complète sur les cristaux de quartz naturel est donnée par le remarquable ouvrage (disponible seulement en allemand) de R. Rykart « Quartz Monographie » (1995). Il n’y a pas de livre équivalent en français ou en anglais. Cependant une information assez complète se trouve dans les numéros spéciaux des revues françaises : « Les minéraux du Mont-Blanc », Le Règne Minéral (1999) et « Le quartz », Minéraux et Fossiles (2000). L’article de Joseph Mullis dans le Cristallier Suisse (1991) est aussi une excellente source d’informations sur le quartz alpin. Le livre, en anglais, de C. Frondel « Silica Minerals, Volume III », (révision en 1962 de «  The System of Mineralogy » de J .D. et E. S. Dana) bien que relativement ancien, demeure le texte scientifique le plus détaillé sur le quartz. Il existe une littérature russe assez abondante sur le quartz de ce pays, mais difficilement accessible. On peut signaler deux articles (en anglais) dans la revue World of Stones de V.V. Bukanov sur le quartz de 1’Oural (N° 7, p. 12, 1995) et de Yu. O. Punin et Carregucs, sur les «  pathologies » des cristaux, dont les quartz tordus (N° 11, p. 2, 1996).

Il est surprenant qu’après trois siècles d’investigations approfondies, d’importantes questions se posent toujours sur un minéral aussi abondant que le quartz, qui constitue 12 % de l’écorce terrestre.

Par exemple, la formation des cristaux de quartz tordus, appelés « peignes » en France et « gwindels » en Suisse, reste un problème sans solution. Bien que moins connue car plus discrète, la structure macromosaïque du quartz est tout aussi étonnante et beaucoup plus fréquente : en Suisse, environ la moitié des cristaux de quartz sont macromosaïques ; en France, on ne trouve des quartz macromosaïques que dans le massif du Mont-Blanc, mais ils y sont alors très prépondérants.

STRUCTURE (MICRO) MOSAÏQUE USUELLE

Nous allons d’abord donner quelques informations sur la structure mosaïque des cristaux usuels. Cette notion a été introduite des 1914 par C.G. Darwin (Philosophical Magazine, 27, 315 et 675) pour expliquer que l’intensité des rayons X diffractée par de nombreux cristaux est beaucoup plus grande, que celle prédite par la théorie la plus simple, basée sur un cristal ayant un réseau périodique parfait. Le modèle de Darwin, initialement purement théorique, considère qu’en général un cristal n’est pas parfait, mais est subdivisé en un grand nombre de petits grains cristallins parfaits, ayant des dimensions de l’ordre de 0,1 microns, désorientés entre eux par des angles compris entre quelques centièmes et quelques degrés. Cette théorie permet de bien interpréter l’intensité des rayons X diffractes par des échantillons dont la qualité va du cristal parfait au cristal idéalement imparfait. Il existe en effet des cristaux de très bonne qualité pour lesquels la théorie de la diffraction par les cristaux parfaits est bien vérifiée : c’est le cas de certains cristaux artificiels, comme le silicium, mais aussi de cristaux naturels soigneusement sélectionnés (diamant, calcite).

Des cristaux de quartz naturels homogènes (comme ceux du Brésil et de Madagascar) peuvent aussi être très proches du modèle parfait. Par contre les cristaux de quartz du Mont-Blanc (et les équivalents suisses) sont très particuliers car ils possèdent une structure mosaïque avec des grains de grande taille (plusieurs mm de section) et des rotations de l’ordre du degré : ceci justifie l’usage du terme spécifique de « macromosaïque » pour caractériser ces structures. Notons qu’il est important de garder l’integralité du mot macromosaïque pour éviter la confusion avec la structure (micro) mosaïque de la théorie de Darwin, modèle toujours utilisé actuellement.

STRUCTURE MACROMOSAÏQUE DES QUARTZ ALPINS

(Les références numérotées des articles scientifiques sont données à la fin du texte).

Malgré les nombreuses études antérieures du 19ème siècle sur la morphologie du quartz, ce n’est qu’en 1930, que le minéralogiste français R. Weil publie le premier article [1] révélant des différences notables entre le quartz de la mine de la Gardette (près de Bourg d’Oisans) et le quartz suisse du Saint Gothard.

En 1934, dans un numéro spécial du Zeitschrift fur Kristallographie, faisant le point des controverses sur l’origine des structures cristallines mosaïques, MJ. Buerger [2] décrit une structure (qu’il appelle « linéage », en anglais), observée surtout dans des cristaux métalliques : c’est une structure mosaïque avec des gros grains allongés, de plusieurs mm de section, issus d’un germe commun et présentant des angles de rotation de l’ordre du degré. Il montre qu’une structure similaire, dont il publie une photographie, existe aussi dans le quartz du Saint Gothard, avec la présence sur les faces prismatiques de lignes de suture caractéristiques, plus ou moins parallèles à l’axe trigonal OZ.

Après ces deux travaux précurseurs, il faut attendre 1951, pour que C. Friedlaender publie son travail fondateur [3] sur les quartz alpins de la Suisse. Il s’agit d’un mémoire d’une centaine de pages, en allemand, présentant le résultat d’une recherche, réalisée entre 1943 et 1947, à l’École Polytechnique Fédérale de Zurich (E.P.F.Z.). Le problème posé par les responsables la Suisse était alors de savoir si on pouvait fabriquer des oscillateurs piézoélectriques avec le quartz des Alpes, afin de remplacer le quartz du Brésil, difficile a importer pendant la Deuxième Guerre mondiale. Le résultat de ce travail montra que c’était possible en laboratoire, mais que les quantités de cristaux, disponibles dans les Alpes, étaient insuffisantes pour un développement industriel; de plus, les performances obtenues étaient médiocres en raison de la structure inhomogène des cristaux alpins.

En effet, Friedlaender démontra que les lignes de suture bien visibles sur les surfaces prismatiques de ces quartz n’étaient pas des limites de macles du Dauphiné, comme on le pensait auparavant, mais des limites entre des grains cristallins, ayant des rotations de l’ordre du degré entre eux. Il publie un dessin très élaboré (reproduit sur la figure 1) d’un cristal de quartz avec des lignes de suture sur les surfaces extérieures et des formes de croissance triangulaire sur les faces de la pyramide. Après sciage et attaque chimique, les coupes transversales montrent la forme interne des grains macromosaïques et des macles du Dauphiné (ce dessin remarquable a été reproduit dans la plupart des ouvrages sur le quartz cité dans l’introduction). Cependant dans son texte, Friedlaender n’utilise pas le mot « mosaïque » mais l’expression « poly-lamellaire » pour désigner les structures qu’il observe.

Figure 1 : Dessin d’un cristal de quartz des Alpes Suisses ([3], Friedlaender, 1951).
Les faces naturelles, prismatiques (à droite et à gauche) et rhomboédriques (au sommet) montrent les lignes de suture, séparant les grains macromosaïques ; la section sous la pyramide montre leur évolution à l’intérieur· du cristal.
Les trois coupes inférieures montrent la présence de macles du Dauphiné, révélées par une attaque chimique et représentées en gris.

Ce travail fut complété une dizaine d’année plus tard par deux publications de H.U. Bambauer et de ses collègues de l’E.P.F.Z. : en 1961, dans un premier article [4a], Bambauer montre que les quartz de Suisse se partagent en deux catégories, suivant le taux d’impuretés (pur/impurs). Puis en 1962, Bambauer, Bruner et Laves publient un deuxième article [4b], montrant que les quartz inhomogènes de Friedlaender correspondent aux quartz ayant peu d’impuretés, qui se trouvent dans les massifs cristallins du centre de la Suisse; ils proposent le nom de « macromosaïque » pour cette première catégorie de quartz. La deuxième catégorie des cristaux de quartz, appelée « lamellaire », correspond aux cristaux plus impurs, trouves dans le reste de la Suisse.

Enfin en 1967, B. Poty soutient une thèse originale [5] à l’Université de Nancy, où il compare les cristaux de quartz de la Gardette et du Mont-Blanc. Dans la première partie de sa thèse il montre que les propriétés de ces quartz (morphologie, structure interne, impuretés chimiques) ont des différences marquées, correspondant bien à la classification des quartz suisses : macromosaïque pour le Mont-Blanc et lamellaire pour la Gardette. Les deux autres parties de la thèse sont consacrées à une détermination des conditions de croissance, obtenues par l’étude des inclusions fluides des quartz et aux différences géologiques des massifs cristallins du Mont-Blanc et de l’Oisans.

Ces trois études de grandes ampleurs sont maintenant bien connues, au moins dans les pays alpins, et elles sont souvent citées ensembles. Par la suite, à notre connaissance, il n’y a eu que trois autres études, moins connues, sur la structure des quartz alpins macromosaïques.

En 1968, H. Carstens [6] observe la présence de dislocations, révélées par attaque chimique dans les joints entre les grains macromosaïques des quartz alpins.

En 1986, P. Vollenweider [7], du Musée d’Histoire Naturelle de Berne, montre par des mesures optiques que les quartz macromosaïques présentent souvent une torsion de l’ordre de 0,8°/cm autour de l’axe Z. Auparavant, seuls quelques très rares cas de quartz tordus autour de Z avaient été décrits, notamment par Frondel (1962).

Enfin en 1989, M. Zorz [8] rédige l’article le plus récent sur les gwindels, tordus autour de l’axe X. Il cite et développe, par de nouvelles observations optiques, les travaux de Vollenweider et il fait une comparaison courte mais intéressante entre les cristaux de quartz macromosaïques tordus autour de l’axe Z et la structure hélicoïdale des gwindels autour d’un axe polaire X.

Actuellement, la classification macromosaïque/lamellaire des quartz alpins est communément acceptée mais elle est rarement mentionnée dans les articles scientifiques sur la minéralogie des Alpes. La diffusion dans le monde des collectionneurs s’est faite progressivement par les revues de minéralogie (surtout le Cristallier Suisse, avec les textes bilingues allemand/français de ses articles) et par les livres pour les collectionneurs de minéraux : le premier ouvrage de vulgarisation mentionnant les quartz macromosaïques est probablement le guide de Max Weibel (alors professeur à l’E.P.F.Z.) publie en 1968, simultanément en allemand et en anglais ; la notion de quartz macromosaïque apparait dans l’édition de 1973 de « Die Mineralfunde der Schweiz ». Une étape importante a été la publication des diverses éditions des livres de Rykart, « Bergkristallu.  » (1973, 1979) et « Quartz Monographie  » (1989, 1995). En France la thèse de B. Poty est une référence incontournable, qui cependant n’a diffuse que lentement dans le monde des collectionneurs. Elle est brièvement mentionnée par J. Geffroy dans un article de « Monde et Minéraux » en 1986 et de manière plus détaillée par F. Latil dans le bulletin du club en 1993. Mais il faut attendre le numéro spécial du « Règne Minéral » sur les minéraux du Mont Blanc (1999) (qui comprend un article rédigé par B. Poty et M. Cathelineau) pour une diffusion large des résultats de B. Poty. En 2000, le hors série de « Minéraux et Fossiles » sur le quartz complète l’information du public francophone.

ÉTUDES STRUCTURALES RÉCENTES PAR RAYONS X

En reprenant nos travaux sur le quartz vers 2000, nous avons assez rapidement eu connaissance de ces ouvrages et nous avons été très surpris de l’existence de cette structure macromosaïque du quartz, exceptionnelle en cristallographie : il est en effet rare de trouver des cristaux qui, lors d’un examen superficiel, semblent être de bons monocristaux mais qui en fait présentent des rotations des grains de plusieurs degrés. Nous avons aussi été étonnés par le petit nombre d’études sur les quartz alpins macromosaïques, toutes citées ci-dessus. De plus, seul Friedlaender a utilisé la diffraction des rayons X, qui est, depuis près d’un siècle, la technique de base pour l’étude des cristaux. Il se trouve que P. Bastie a participé au montage d’un appareil de diffraction des rayons X, optimisé pour la caractérisation des gros cristaux synthétiques, utilisés pour la diffraction des neutrons au réacteur nucléaire de recherche de l’I.L.L. à Grenoble. Nous avons donc décidé d’utiliser cet instrument performant pour l’étude des quartz alpins macromosaïques. Un premier article [9], publié en 2004, présente les résultats préliminaires obtenus sur un quartz suisse du canton d’Uri et sur un peigne du Mont-Blanc.

Nous présentons ici les résultats similaires obtenus sur des quartz macromosaïques du Mont-Blanc. Nous ne décrirons pas le montage rayons X, qui repose sur les principes classiques de la méthode de Laue en transmission. Nous mentionnerons juste qu’il utilise un générateur industriel de 420.000 volts, utilisé pour le contrôle radiographique des matériaux et des soudures épaisses, et comme détecteur une caméra rayons X utilisée en radiographie industrielle et médicale. Le rayonnement X de haute énergie traverse plusieurs cm de quartz, avec une atténuation faible, ce qui permet un examen de la structure interne du cristal.

La figure 2 rappelle l’orientation des axes (a1, a2, c) de la maille cristalline du quartz ainsi que P celle du repère orthogonal (X, Y, Z) utilisé pour décrire les propriétés physiques anisotropes du quartz (élasticité, piézoélectricité,…).

Figure2: définition des différents systèmes d’axes utilisés pour le quartz:
-axes cristallographiques a1, a2, c
-axes orthogonaux X, Y, Z

La figure 3a montre la photographie d’un cristal de quartz de la Gardette, utilisé comme référence. La figure 3b montre le diagramme de diffraction des rayons X, typique des bons cristaux de quartz, obtenus sur cet échantillon: on observe principalement une fine ligne droite, dont la hauteur correspond à celle de l’échantillon et la largeur (de 0,0l°) a celle de la source de rayons X.

La rectitude de cette ligne traduit l’absence de torsion des plans cristallins autour de l‘axe Z.

Figure 3 : Cristal « lamellaire » de La Gardette.
(a) Photographie du cristal et schéma de la section du faisceau incident de rayons X.
(b) Diagramme de diffraction obtenu sur les plans perpendiculaires a l’axe Y.
On constate la bonne qualité du cristal (excepté les petits défauts, désorientés de moins de 0,l°, observés dans la zone de fracture, à la base du cristal).

La figure 4a montre un cristal fumé du Mont-Blanc et la figure 4b son diagramme de diffraction, obtenu dans les mêmes conditions. On observe une figure complexe avec plusieurs lignes de forme et de largeur variables. Ceci révèle une structure inhomogène caractérisée par la présence de grains bien définis du type de ceux de la figure 1. Ces grains, légèrement désorientés entre eux, sont allongés suivant la direction de croissance. Un résultat important est l’inclinaison de ces lignes par rapport à l’axe Z : ceci traduit une rotation autour de l’axe Z, augmentant avec la hauteur, correspondant donc a une structure hélicoïdale des grains. Un simple examen à l’œil du profil de ces faces montre en effet qu’elles sont très légèrement gauchies. Au début, ce résultat nous a beaucoup surpris, mais nous avons rapidement trouvé, dans le livre de Rykart (1995), la seule publication existant alors sur cet effet : c’est celle de Vollenweider [7], qui par une mesure optique a observé une rotation similaire sur de nombreux quartz suisses. Il est étonnant que cet effet n’ait pas été mentionné lors des nombreuses études optiques antérieures sur le quartz.

La présence de la torsion autour de l’axe Z est une propriété remarquable qui suggère une relation avec la structure des gwindels qui eux possèdent une torsion plus importante, mais autour d’un axe polaire X. Des études rayons X sur les gwindels sont en cours a Grenoble. Mais il faut remarquer que depuis la première publication due à Weiss (1836), l’origine de ces torsions n’est toujours pas expliquée. L’observation d’une torsion autour de l’axe Z dans les cristaux macromosaïques, beaucoup plus fréquents, accroit l’importance du phénomène mais pour le moment ne fait qu’augmenter le mystère sur l’origine de ces effets. Notons toutefois qu’i1s sont compatibles avec la disposition hélicoïdale des atomes du quartz autour de cet axe Z.

Figure 4 : Cristal “ macromosaïque  » du Mont-Blanc.
(a) Photographie du cristal et schéma de la section du faisceau incident de rayons X.
(b) Diagramme de diffraction obtenu sur les plans perpendiculaires à l’axe Y.
On constate la présence de plusieurs grains dans cette section de l’échantillon et l’existence d’une rotation des plans cristallographiques autour de 1’axe Z de plusieurs degrés entre la base du cristal et la pyramide sommitale.
On remarquera la différence d’échelle angulaire entre les figures 3b et 4b.

Une dernière remarque concerne la localisation géographique des quartz macromosaïques et tordus, associés a la croissance dans les fentes alpines des massifs cristallins des Alpes. Il faut noter que les quartz tordus autour de OX (gwindels) ne sont bien connus que dans une seule autre région du monde, le nord de l’Oural, mais dans un contexte géologique très diffèrent. Diverses informations indiquent qu’on y trouve aussi des quartz macromosaïques, mais pour le moment les publications russes que nous avons pu consulter sur ce sujet sont peu détaillées.

En conclusion, notre travail confirme très clairement la présence d’une structure macromosaïque spectaculaire dans les quartz du Mont-Blanc et les cristaux suisses similaires. Bien que seulement une dizaine d’échantillons ait été mesurée avec les rayons X, cette structure est parfaitement corrélée a la présence des lignes de suture sur les faces prismatiques, qui permettent donc une bonne détermination de ce type de structure par une simple observation visuelle.

Nous espérons que cet article montrera aux lecteurs combien la structure macromosaïque des quartz du Mont-Blanc est exceptionnelle et mystérieuse. Nous espérons que de nouveaux échantillons spectaculaires seront trouvés dans les Alpes et surtout dans d’autres régions. Nous serons très heureux d’être informés de l’existence d’échantillons remarquables, donnant de nouvelles informations sur ces structures. Ceci permettra peut-être de résoudre enfin un problème qui depuis 170 ans résiste aux (rares) personnes qui ont essayé d’expliquer la genèse des quartz tordus.

Références sur le quartz macromosaïque:

[1] R. Weil, Observations sur le quartz, Comptes Rendus Académie des Sciences, 191, 270-272; 380-382; 935-937 (1930).

[2] MJ. Buerger, The lineage structure of crystals, Zeit. Kristallographie, 89, 195-220 (1934).

[3] C. Friedlaender, Untersuchung uber die Eignung alpiner Quartz fur piezoelectrische Zwecke, Beitrage Geologie Schweiz, Geotec. Ser., N° 29, 98 p. (1951). C. Friedlaender, Stmctural Imperfection in Alpine Quartz Crystals, Mineralogical Magazine, 89, 217-220 (1952).

[4] a) H.U. Bambauer, Spurenelementgehalte und Y-Farbzentren in Quarzen aus Zerrkltiften der Schweizer Alpen, Schweiz Min. Petr. Mitt., 41, 335-369 (1961).

[4] b) H.U. Bambauer, G.O. Bruner, F. Laves, Wasserstoff-Gehalte in Quarzen aus Zerrkluften der Schweizer Alpen. . ., Schweiz Min. Petr. Mitt., 42, 221-236 (1963).

[5] a) B. Poty, La croissance des cristaux de quartz dans les filons. .. de la Gardette et du Massif du Mont-Blanc, These, Univ. Nancy (1967); Me moires Science Terre, N° 17, 161 p. (1969).

b) B. Poty et M. Cathelineau, La formation des cristaux dans les fentes alpines du Massif du Mont-Blanc, Les Minéraux du Mont-Blanc, Le Règne Minéral, HS 5, 19-21 (1999).

[6] H. Carstens, The lineage Structure of Quartz Crystals, Contribution Mineral. Petrol., 18, 295- 304 (1968).

[7] P. Vollenweider, Quartz du Bachistock UR, une surprenante découverte, Le Cristallier Suisse, 7, 311-330 (1986).

[8] a) M. Zorz, Pyroelectrically caused twisting of quartz crystals, Geologija, 36, 221-232 (1993).

[8] b) L. Gautron et M. Zorz, La pyroélectricité à l’origine des quartz tordus, Les Minéraux du Mont-Blanc, Le Règne Minéral, HS 5, 45-52 (1999).

[9] P. Bastie, G. Dolino, B. Hamelin, N. Meisser, La diffraction des rayons X durs : un nouvel outil pour les géosciences. Application aux quartz naturels, J. de Phys. IV, 118, 259-265 (2004).


Le quartz macromozaïque: « libre tout en observant la règle »

Quartz tordus,

Quartz biterminé en double torsion opposée,

Quartz en triple torsion – gwindel (peigne).

Giancarlo Malinverni, Biella, 2006

SCHÉMA THÉORIQUE

Quartz idéal macromosaïque biterminé opposé tordu:

Quartz gauche.

Hélice droite.

Tourne à gauche (sens antihoraire) dans le sens de la montée (sens de la croissance).

Quartz droit.

Hélice gauche.

Tourne à droite (sens horaire) dans le sens de la montée (sens de la croissance).

Côté opposé conjoint du biterminé. Même forme, mais orientation différente. Hélice dans le même sens, mais opposée.

Quartz droit:

Disposition d’un cristal (ou groupe) biterminé, par rapport à la matrice.

Disposition d’un cristal biterminé par rapport a l’axe polaire « a » axe de rotation d’un gwindel.

Disposition des arêtes avec polarité électrique positive rapport à la position d’un gwindel vers la matrice.

Déviation, causée par la torsion, des faces du prisme d’un quartz.

Axes a, a, « a » sortant des arêtes avec polarité électrique positive, Axe « a » dirigé vers la matrice.

Exemple idéalisé. Déviation, par rapport à l’axe C, des faces tordues et opposées.

Arête S – arêtes adjacentes:

Schéma de la courbe d’alignement de l’arête « S » qui réunit les demi-formes tournées et opposées entre quartz gauche et droit biterminés.

Comportement des autres arêtes du prisme d’un peigne. (lignes en tirets) Les arêtes adjacentes (à droite et à gauche) de |’arête S, c’est-à-dire les deux arêtes dont sortent les axes a, ne s’alignent pas en une courbe régulière, mais décalent la courbure en faisant, sur ses deux faces, un ensemble de facettes qui sont la caractéristique typique du gwindel.

Il en est ainsi pour tous les cristaux qui forment le gwindel et cela ne se limite pas uniquement aux cristaux ou groupes biterminés.

Gwindel – Schéma de la triple torsion par opposition des sommets – sens gauche:

– Torsion autour des axes C dans le sens de la structure cristalline, en double direction opposée

– Torsion autour de |’axe polaire “a », correspondant à la direction de l’un des trois axes a (de symétrie binaire) vers la matrice

– Pour obtenir le sens de construction d’un gwindel, il faut dévisser idéalement les trois vis simultanément. Le dévissage produit un mouvement hélicoïde lévogire qui correspond à la formation de la structure des quartz gauches, observés de dessus dans le sens de la montée, c’est-à-dire du sommet de chaque vis au cours du dévissage.

Gwindel 1 : 1 Glacier de Talèfre

Arête « S » –  Explication de la courbe de liaison de l’arête sommitale, par référence à ma théorie de la torsion opposée.

Peigne gauche: rotation opposée A
– levogyre vers la montée des deux hélices du groupe biterminé. `
– sens hélicoïde opposé et relié

1. Sens droit ou gauche des cristaux de quartz

Même dans les livres les plus connus, on trouve des confusions et des contradictions à propos de ce qui est droit ou gauche ». sens des aiguilles d’une montre (= sens horaire)… sens inverse (= sens anti-horaire).

Sans doute les auteurs, surtout les plus réputés, en avaient-ils une idée-précise, mais toujours donnée avec des explications incomplètes ou contradictoires, comme fait expressément pour confondre les lecteurs.

Mon intention est donc de tenter de décrire clairement et simplement ce que l’on entend par droit ou gauche, puisque sans ce préalable, il serait difficile de poursuivre et de décrire cristaux tordus et peignes.

La plus grande confusion, a été provoquée en décrivant « droites », comme une vis dextrogyre (vis à pas normal), les hélices conventionnellement appelées droites, alors que le sens de rotation qui importe lors de l’étude du quartz est celui qui correspond au sens de la structure cristalline.

Lorsque l’on dit d’une hélice qu’elle est dextrogyre, en s’inspirant du  » principe du tire-bouchon  » (lorsqu’on l’enfonce dans le bouchon – lorsqu’on le visse pour le faire pénétrer dans le bouchon), on devrait à mon avis préciser que, cette hélice dextrogyre (dans son mouvement de haut en bas) devient lévogyre lorsque l’on inverse le mouvement dans le sens de la remontée (lorsque l’on extrait le tire-bouchon du bouchon).

C’est là, le sens qui nous intéresse, le sens correspondant à la structure du réseau cristallin.

VIS DESTROGYRE ( = à pas normal)
DEVISSAGE LEVOGYRE – ANTIHORAIRE
Du bas vers le haut, vers la montée
correspond à l’hélice du QUARTZ GAUCHE
 VIS LEVOGYRE (= à pas inverse)
 ROTATION DESTROGYRE – HORAIRE
 Du bas vers le haut, vers la montée
correspond à l’hélice du QUARTZ DROIT

Si l’on adopte le même principe pour les peignes, je ne crois pas que l’on puisse parler d’un quartz droit courbé à gauche – torsion du peigne le long de l’axe « a » – alors que ce peigne, comme tous les cristaux de quartz, effectue sa croissance de bas en haut – de la base vers le sornrnet – et non l’inverse.

La torsion qui nous intéresse est donc celle qui va de la base vers le sommet. Puisque, comme on peut le lire dans  » Quartz Monographie  » au chapitre  » Gwindel  » (twisted quartz) :  » le vissage correspond toujours au sens de la structure cristalline « , on ne peut pas dire que les quartz avec une morphologie droite tournent vers la gauche – sens inverse des aiguilles d’une montre – et que les quartz gauches tournent vers la droite – sens des aiguilles d’une montre.

Éric Asselborn, le dit clairement dans le Bulletin n° 57 du Club (2006), parlant du sens droit ou gauche des gwindels :  » pris en main, un cristal droit « tourne » à droite  » ; mais ici aussi, il vaut mieux comprendre que tourner à droite ne veut pas dire dans le sens inverse des aiguilles d’une montre, mais, au contraire, dans le sens des aiguilles d’une montre.

Je voudrais en venir à la conclusion :

Les PEIGNES DROITS, c’est-à-dire les peignes composés par des cristaux droits, observés le long de l’axe de rotation « a », tournent à DROITE, dans le sens des aiguilles d’une montre.

Et inversement pour les peignes gauches.

En effet, considérant le sens de la structure du quartz comme sens d’observation, tout ce qui est droit vient à se trouver à droite dans la torsion, que ce soit pour le simple cristal, pour la macle, ou pour le peigne.

À l’inverse, tout ce qui est gauche vient à se trouver à gauche. »

Je crois qu’expliqué et entendu ainsi, tout est plus facile à comprendre et à mémoriser.

Ce serait déjà un bon résultat.

2. Quartz tordus. Association des quartz tordus

Le cristal macromosaïque des Alpes a une construction très différente de celle du quartz lamellaire, tout en conservant des propriétés communes aux deux types, que l’on connaît bien.

Les sutures ne correspondent pas seulement aux tesselles séparées qui composent le cristal de quartz , en rayonnant à partir du centre du cristal vers les faces du prisme. Dans beaucoup de cristaux, on observe une association compénétrée, indépendamment du maclage, qui met en évidence, au-delà des classiques sutures, des lignes de sutures plus visibles, lesquelles, bien observées, correspondent à de véritables arêtes appartenant aux sub-individus dont l’ensemble compose le cristal final.

Quelquefois, dans le même alignement, on observe aussi des rhomboèdres partiels qui sortent en relief des grandes faces des rhomboèdres sommitaux du quartz ; ceci démontre que, en réalité, ce qui semble être un cristal unique est en fait une association compénétrée, unidirectionnelle de cristaux du même signe.

Il me semble indubitable qu’une telle association et subdivision, puisse aider au déplacement des tesselles des divers sous-individus dans la direction de rotation de la formation de la structure cristalline.

Le tout semble correspondre à une simple compétition pour l’affirmation expressive de chaque composant ; compétition toute dédiée à la formation d’un unique cristal de quartz final.

Dans nombre de quartz de grande taille, on peut s’apercevoir visuellement de la torsion d’une grande face, de même que l’on peut bien observer ces petits reliefs qui ont l’apparence de banales lignes de sutures, mais qui se déplacent légèrement dans la direction du sens de rotation.

Le même mécanisme de dislocation et déplacement des divers sous-individus cristallins qui composent le quartz compénétré s’observe parmi tous les groupes qui composent le peigne. En effet, c’est où un groupe compénétré se termine et où un autre commence, que l’on observe la rotation la plus visible : c’est une véritable dislocation, un déplacement entre un groupe et l’autre dans le sens de la rotation de l’ensemble de la structure.

Tout cela, pour répondre à la plus grande liberté d’expression, c’est-à-dire à l’affirmation visible de chaque cristal individuel, puis de chaque groupe d’individus, tout en respectant la règle générale.

On observe ainsi une liberté d’expression de tout l’ensemble du quartz, qui se met en évidence dans toutes les couches, dans les nombreuses (innombrables) facettes des prismes, rhomboèdres, trapézoèdres et autres faces appartenant à chacun des sous-individus composant le peigne final.

Et c’est justement la torsion qui donne ces possibilités, comme si cette propriété morphologique de ce grand quartz, était subordonnée à la beauté du résultat final…

Sens de rotation d’un peigne – Terminaisons des quartz tordus et leurs oppositions

(cf. Schéma 4)

La rotation autour de l’axe « a », correspond à l’hélice de dévissage de la vis 3, elle est provoquée par la torsion opposée des quartz biterminés, c’est-à-dire par les hélices de dévissage des vis 1 et 2.

Les vis 1 et 2 représentent en effet idéalement la direction opposée d’une quantité de cristaux superposés qui additionnent de bas en haut- de la matrice au sommet – leur torsion.

En ayant un sens de croissance soit en direction des axes C, soit en direction de l’un des axes a, le peigne ne peut faire autrement que de s’enrouler sur lui-même.

La direction de l’axe a de rotation du peigne, correspond à la somme de la direction de chacun des axes a des sous-individus qui constituent le peigne, et se dirigent vers la matrice.

ll existe, de toute façon, différents types de peignes, qui diffèrent entre eux par une typologie de construction référencée par le rapport largeur-épaisseur–hauteur de l’exemplaire.

Le peigne du Mont-Blanc est constitué par des groupes de sous-individus (deux ou trois au maximum), qui montrent l’un par rapport à l’autre, un déplacement bien visible dans la même direction de torsion. Ces groupes, ou « groupes compénétrés » maclés ou non-maclés, peuvent réunir plusieurs cristaux chacuns et constituer la base du groupe compénétré tordu suivant.

Plus le cristal est large et épais, et moins la torsion est visible. Plus il est haut et peu épais (élancé), plus la torsion est évidente.

La formation du peigne en blocs ou groupes compénétrés, concerne les grands peignes, avec une épaisseur importante et un vissage modeste.

Au contraire, pour certains peignes du Mont-Blanc et beaucoup plus fréquemment pour les gwindels des Alpes suisses, on a une croissance uniforme et constante, montrant la torsion d’un unique bloc ou unique quartz compénétré, avec une épaisseur très réduite.

Dans ce cas, on n’observe pas les passages de torsions différentes entre diverses parties du peigne, mais une torsion constante d’une extrémité à l’autre ; il s’agit des cristaux les plus tournés et les plus recherchés. (ndlr : les « sucres »).

La grande face du trapézoèdre qui ferme généralement ces peignes ne constitue pas seulement la partie terminale de ces cristaux, mais elle indique que ce type de peigne constitue un cristal unique, par addition de plusieurs sous-individus, qu’il faut observer selon le sens de son développement vertical par rapport à la matrice, c’est-à-dire comme si l’axe polaire « a » devenait, idéalement, son axe c.

Cette grande face trapézoïdale, ferme en effet toute la forme, cormne s’il s’agissait d’un cristal de quartz ayant grandi en inversion, c’est-à-dire en direction perpendiculaire à l’axe c.

Arête S.

On a beaucoup parlé des quartz tordus et peignes. Les articles ou études publiés dans les magazines spécialisés sont nombreux.

L’article d’Éric Asselborn dans le Bulletin n° 57 du Club (2006) est très bien fait et résume tout ce que l’on connaît jusqu’à aujourd’hui.

L’information qui m’a le plus intéressé, que j’estime la plus neuve et la plus pertinente, est celle qui concerne de l’arête S, et en particulier la forme en S aplati (anomalie) de cette arête sommitale.

Négligeant donc une répétition de tout ce que l’on connaissait déjà, j’ai carrément, dans cette étude, orienté mon attention vers l’explication de cette curieuse courbe.

J ’espère avoir réussi à donner une explication satisfaisante et avoir contribué à la compréhension de ce « phénomène », de telle façon que ce qui pouvait paraître être une anomalie puisse, maintenant, sembler une terminaison compréhensible de la partie sommitale du peigne.

À propos de cette étude compliquée des torsions, il faut toutefois reconnaître que parmi tous ceux qui l’avons tentée jusqu’à maintenant, aucun ne peut se vanter d’être parvenu à une vérité absolue.

Beaucoup de ce que l’on a dit à propos des quartz tordus et peignes, peut-être modifié, ou complété ; de même, des affirmations d’auteurs très renommés sont à considérer davantage comme des probabilités que comme des certitudes.

À mon tour, j’ai participé à cette intéressante recherche en tentant de mettre en évidence un nouvel aspect.

J ’espère que cette étude puisse être appréciée et qu’elle puisse donner des possibilités à d’autres évolutions.

Un remerciement particulier à Monsieur Frédéric Latil, Monsieur Armand Comte, à Monsieur Pierre Bavuz président du Club et aussi à Monsieur Jean-Pierre Siret.

Giancarlo Malinverni, Biella, 2006.


Panorama sur la minéralogie du Bassin Parisien

Par Alain Martaud.

Le Bassin Parisien est une grande entité géologique sédimentaire, la plus vaste de France. Il ne doit pas être confondu avec l’Île-de-France (Région parisienne) qui n’en est que la partie centrale. Sa structure géologique est connue dans le monde entier comme un classique du genre, notamment par les nombreuses études auxquelles ce bassin donna lieu depuis les balbutiements de la géologie au dix-huitième siècle. Le développement de l’homme et des civilisations est étroitement tributaire du monde minéral qui l’entoure. La richesse en matériaux, matières premières, sources d’énergies et eau de ce bassin, explique qu’il fut l’un des berceaux de la civilisation, ainsi que son état extrême de développement actuel.
Géographiquement, ce bassin est limité à l’Est par les Vosges et les contreforts jurassiens ; au Nord, par l’Hunsrück (Allemagne), les Ardennes et le bassin Belge ; à l’Ouest, par la Manche et le Massif Armoricain ; au Sud, par le Massif Central. Les limites géographiques et géologiques du bassin Parisien correspondent grossièrement à l’extension maximale des terrains sédimentaires du bassin au contact des massifs montagneux anciens. Sa surface est d’un quart du territoire national, soit environ 130 000 kilomètres carrés.

Structure géologique


Sa structure géologique en « pile d’assiettes » est bien connue et a permis, depuis le dix-huitième siècle, le développement de la science stratigraphique. Les études modernes, minières, pétrolières et géophysiques, nuancent maintenant cette vision simpliste car de nombreuses failles, plis et structures synsédimentaires1, compliquent la structure, même si on peut l’assimiler globalement à un grand bassin sédimentaire tectoniquement calme. Les dépôts s’étagent de la base du Trias au Quaternaire récent, soit près de 200 millions d’années. Ils reposent sur un socle2 varié, constitué par une chaîne montagneuse très ancienne et pénéplanée (chaîne varisque3).

On oublie facilement que le plus gros de la production minière française en provient : le fer du bassin lorrain, le charbon des bassins du Nord et de Lorraine, le pétrole de l’Île-de-France et de Champagne, le sel de Lorraine. Les plus grosses ressources de fluorite d’Europe y sont connues sur le pourtour du Morvan. Sur le plan des matériaux, le bassin est aussi gâté avec, d’énormes quantités de gypse (les trois quarts des ressources françaises), des exploitations innombrables de roches calcaires, de sables (dont les plus purs du monde, à Fontainebleau), graviers et grès. Le gypse y a été exploité en quantités considérables dans différents districts (Île-de-France, Moselle, Meurthe-et-Moselle). La plus grosse mine à ciel ouvert de barytine d’Europe y a été exploitée aux Redoutières, à Chaillac, Indre. Les phosphates, la dolomie et la magnésie, l’anhydrite, la craie* et l’argile y ont été aussi exploités.

Cette abondance d’exploitations compense largement le manque d’affleurement naturel et l’on comprendra donc la richesse minéralogique méconnue de cette vaste région. L’urbanisation poussée des différentes régions géographiques composant le Bassin Parisien ne favorise pas du tout la conservation des espèces minérales du sous-sol même si, par effet contradictoire, chaque chantier d’urbanisme est une source potentielle de découvertes. Seules, quelques collections privées d’amateurs reflètent partiellement cette richesse, le plus souvent pour la région concernant ces personnes, avec tous les problèmes de conservation à long terme impliqués par ce genre de collections. Les institutions ont, quant à elles, attaché peu d’importance aux minéralisations du Bassin Parisien moins spectaculaires et prestigieuses que celles des Alpes ou du Massif Central (Note de l’auteur : La craie est un matériau rare dans le monde !). Il n’en a pas toujours été ainsi et, au dix-neuvième siècle, les musées avaient beaucoup de spécimens de cette région, grâce à l’importance du développement des sciences de la Terre, dont elle fut l’un des berceaux. Il serait intéressant de faire le point sur la conservation de ces collections et d’envisager une synthèse.

Nous aborderons ce panorama espèce par espèce en citant, à chaque fois, les indices historiques signalés par Lacroix dans sa « Minéralogie de la France », référence en la matière, puis en évoquant les découvertes modernes portées à notre connaissance.

Originaire de Reims, ayant passé toute mon enfance à Metz, puis vingt ans à Paris, je me suis tout naturellement intéressé à ce thème de collection. L’essentiel de ma collection de référence du Bassin Parisien a été acquis par le MNHN de Luxembourg en novembre 2009. Certains spécimens font maintenant l’objet d’études métallogéniques menées conjointement par la faculté de sciences de Nancy et l’ANDRA4.

Minéraux et localités

La calcite : dans ce domaine géologique essentiellement calcaire, ce minéral est très fréquent et bien représenté. La liste des gîtes du Lacroix est évidemment très longue :
• Beaux petits cristaux dans les mines de charbon des environs de Lens, Anzin (fosse Vieux-Condé), Marbaix, Bavant et Saint Aubin.
• Le Lias de la Manche et du Calvados (Willy-Bocage).
• Lias calcaire de Corbigny (Nièvre), Sancoins (Cher), Hettingen – très beaux cristaux – Hayange, Nilvange, Ars-sur-Moselle et Algrange (Moselle).
• Le Dogger de Sainte-Honorine-des-Pertes (Calvados) ; d’Hirson (Aisne) et de Harancourt (Ardennes).
• Le Malm de Mortagne (Orne), Clamecy et Beuvron (Nièvre), Lazenay près Bourges et Saint-Amand (Cher), Chamboudon près Tonnerre et Vermanton (Yonne), Baudricourt (Haute-Marne).
• La craie de Rocoy et Saint-Julien-du-Sault (Yonne), Thuisy près Estissac (Aube) où elle formait de beaux cristaux.
• Dans les assises tertiaires, les marnes et caillasses lutétiennes5 contenaient de nombreuses géodes, que les carriers désignaient sous le nom de « sucre candi », notamment à Nanterre et Herblay (Val-d’Oise) ainsi que Crouy près Soissons et Coucy-le-Château (Aisne).
• Les niveaux sableux et gréseux du Stampien recèlent les plus célèbres cristallisations de région parisienne : les pseudomorphoses de calcite en sable dénommées « Bellecroix ».
Dans la magnifique forêt de Fontainebleau, au lieu-dit Bellecroix, les carrières de grès mirent à jour une véritable « caverne » tapissée de hérissons de rhomboèdres de sable blanc, très esthétiques et souvent de grandes tailles. La plupart des musées français et étrangers exposent de tels spécimens, certains étant tout à fait remarquables.
Les restes d’une cavité, épargnée par les carriers de l’époque, sont toujours visibles, protégés par une grille épaisse… Il faut noter que ces échantillons anciens (souvent dix-huitième siècle) – il s’agit de pseudomorphoses de cristaux de calcite par le fameux sable de Fontainebleau, si blanc, si fin et si pur en silice – se distinguent de ceux des gîtes modernes, que nous évoquerons plus loin, par la finesse de leur grain, la blancheur et l’homogénéité incomparables. Les spécimens sont constitués de groupements de rhomboèdres, parfois obtus, très rarement maclés ; ils mesurent de 1 à 5 centimètres d’arête, les groupes pouvant atteindre 50 centimètres et plus.
• Le célèbre minéralogiste décrit avec beaucoup d’intérêt un gisement bien particulier qui attira l’attention des géologues de l’époque : le faciès « sucre candi » des calcaires lutétiens. Le niveau des      « marnes et caillasses » se situe immédiatement au-dessus du banc « royal », principale couche calcaire exploitée pour la construction de Paris par le moyen de nombreuses et « mystérieuses » carrières souterraines. Ce niveau présente, au nord de la capitale, un passage latéral de faciès avec le remplacement de couches de calcaire par des lentilles de gypse. Cette roche est éminemment soluble et la présence de nappes phréatiques a provoqué par endroits la dissolution et le remplacement par de la calcite et du quartz très particuliers. Les carriers les avaient appelés quartz « gros sel » et calcite « sucre candi » tant la ressemblance avec ces matières est grande ! Dans les cavités de cette curieuse roche des cristaux se développent et Lacroix cite les localités de Vanves, Neuilly (Hauts-de-Seine) ; Nanterre (Val d’Oise), et plusieurs sites directement sous la capitale.
Enfin, Lacroix signale de rares et remarquables échantillons constitués par des rhomboèdres orientés sur des oursins fossiles : Meudon (Hauts-de-Seine), Elbœuf (Seine-Maritime), Reims (Marne) et Fréville (Manche). Un superbe spécimen de cette dernière localité est visible au Musée Minéralogique de l’ENSMP.
Les localités modernes pour la calcite sont évidemment très nombreuses et nous n’en évoquerons que quelques-unes, remarquables :
• Les carrières, parfois encore actives, des sables de Fontainebleau produisent d’intéressants échantillons reconnaissables des pièces historiques de Bellecroix par leur grain plus grossier, une couleur plus beige ou plus grise et des arêtes moins vives. Les groupes peuvent être assez volumineux (Saint-Michel-d’Étampes) et se superposent parfois (Larchant) à de sculpturales concrétions arrondies           « calcito-sableuses » de même nature, que l’on appelle « gogottes ». Plus rarement, une dernière génération de calcite en rhomboèdres miel, transparents, repose sur des pseudomorphoses sableuses (Larchant). Les sites principaux sont Le Puiselet, Saint-Michel-d’Étampes, Larchant, (Seine-et-Marne). Les « gogottes » sont réputées à Saint-Michel-d’Étampes, Harleville (Eure), Luzarches (Val-d’Oise) et Lardy (Essonne), dans cette dernière localité, elles forment d’élégants agrégats de billes. Leur côté          « sculpture décorative » fait qu’elles ont été vendues dans le monde entier. Il y a cinq ans, des spéléologues parisiens ont découvert une petite cavité naturelle sous une dalle de grès de Fontainebleau, tapissée d’admirables « gogottes » d’une rare beauté, comme j’ai pu le voir sur les photos qu’ils m’ont montrées ; l’emplacement de cette cavité est tenu secret…
• Les Côtes de Moselle (Dogger) étaient percées de nombreuses carrières ; certaines, comme Lorry-Mardigny (appelée aussi Hary) et Malancourt-la-Montagne (Moselle), Frouard (Meurthe-et-Moselle), étaient particulièrement riches avec, parfois, des cristaux très transparents riches en faces (Malancourt).
• Les mines de fer de Lorraine étaient localement riches en très beaux cristaux, mais peu ont été conservés, ou tout du moins localisés avec précision. La région d’Hayange (Moselle) était particulièrement réputée (calcites sur pyrite, avec fantômes, groupements parallèles, faces rares, etc.), mais aussi la mine de Bouligny (Meuse). Les travaux autoroutiers d’Hayange, lorsqu’ils ont atteint l’Aalénien ferrugineux, ont percé en 1979, d’énormes poches de rhomboèdres obtus jaune vineux, avec des hérissons jusqu’à 100 kilogrammes, mais un peu ternes.
Les septarias du Lias montrent de la calcite, tout particulièrement à Vandœuvre-les-Nancy (Meurthe-et-Moselle) (chantier de l’Hôpital), où l’on pouvait voir des « têtes-de-clou » blanches, en deuxième génération sur des rhomboèdres caramel.
• Les carrières de craie de Saint-Mihiel (Meuse) et Cheppy (Marne) sont riches en scalénoèdres transparents, parfois fantômes, tapissant de grandes fissures.
• Les exploitations des environs de Clamecy (Yonne), déjà citées par Lacroix, fournissent toujours des cristaux intéressants.
• Les nombreuses carrières de l’anticlinal du Boulonnais – Lenlinghen, Marquise et autres (Pas-de-Calais) – sont réputées, avec raison, pour les nombreux et spectaculaires faciès de calcite – les macles y sont fréquentes, les formes rares, colorés en jaune, rouge hématoïde, noir « pyriteux », blanc ou incolore – pourraient faire à eux seuls l’objet d’une publication spéciale. Il devient de plus en plus difficile d’obtenir des autorisations de recherche dans ces exploitations répondant, pourtant, au doux nom de     « carrières de la Vallée heureuse ».
• Les carrières, également très actives, des Ardennes et du Nord, comptent parmi les meilleurs gisements français : Avesnes-sur-Helpe, Limont-Fontaine, Wallers-Trelon et surtout la carrière du Cailloit à Glageon ; elles exploitent les calcaires dinantiens du socle recouvert, ici, par du Crétacé et du tertiaire peu épais. Les faciès y sont nombreux et variés selon qu’on les trouve en épigénies6 de fossiles, dans des fissures ou dans des grandes failles. Des macles du scalénoèdre, brillant, jaune d’or et gemme, peuvent atteindre 7 centimètres. Des cristaux encore plus grands, souvent altérés en surface et présentant partiellement des zones remarquablement colorées et transparentes, ont été plusieurs fois rencontrés. Des individus de cinquante centimètres sont connus et des cristaux presque métriques n’ont pu être sauvés des concasseurs. De nombreuses autres formes, riches en faces sont connues et souvent très gemmes.
• Des rhomboèdres bruns chocolat – couleur peu fréquente et caractéristique – se trouvent de temps à autre à Grauves (Marne).
• Lors de la construction de la centrale nucléaire de Civeaux près de Montmorillon (Vienne) de belles géodes de cristaux purs et riches en faces ont été récoltées dans les marnes jurassiques. Elles sont accompagnées de sphalérite.
• Les carrières souterraines d’Île-de-France et du Soissonnais permettaient, il y a quelques années encore, de récolter des géodes du faciès « sucre candi » du Lutétien citées plus haut : Herblay et Conflans-Sainte-Honorine (Val-d’Oise et Yvelines), Nointel (Oise), le « Trou des Halles » à Paris, Varreddes (Seine-et-Marne). J’ai déjà relaté, en 1999 dans Le Règne Minéral, des découvertes de géodes métriques constellées de petits cristaux ambrés.
• Enfin, des cristaux de formation actuelle ou très récente sont visibles dans des karsts recoupés par des carrières – Cattenom (Moselle) et Viterne (Meurthe-et-Moselle) – ou de néoformation dans les carrières souterraines de Vitry-sur-Seine (Seine-et-Marne), (site détruit par injection de cendres) et les carrières de Meriel et Méry-sur-Oise (Seine-et-Oise).
• Les anciennes galeries d’adduction d’eau de Clairieu-les-Nancy (Meurthe-et-Moselle) ont fourni de nombreuses cristallisations blanches, étincelantes. Ce gîte est devenu maintenant un site d’entraînement sportif original : le spéléodrome.

Aragonite : Lacroix ne cite pas particulièrement d’aragonite pour le Bassin Parisien.

• De belles cristallisations, très fines, sont connues dans les mines de fer de la région d’Hayange. De belles concrétions brunes, se prêtant bien au polissage, ont été récoltées dans les carrières de Viternes (Meurthe-et-Moselle). Des baguettes rayonnantes brunes, incluses dans la marne, sont connues à Jeandelaincourt (Meurthe-et-Moselle) et un beau filon prismé orangé était visible dans la carrière souterraine de Varreddes (Seine-et-Marne).
Quartz : Lacroix cite les jolis petits quartz des charbons du Nord, entre autres à la fosse Saint Marc à Anzin. De beaux cristaux centimétriques ont été trouvés dans les grès dévoniens d’Anor (Pas-de-Calais). Du quartz améthyste est signalé dans les loges d’ammonites du Callovien de Ruppes près Neufchâteau (Meurthe-et-Moselle).
Les localités des faciès de substitution du gypse des marnes et caillasses du Lutécien sont classiquement citées. Le quartz dit « gros sel » accompagne les calcites dites « sucre candi » (voir plus haut) – principalement en Nord de la Seine et en rive de l’Oise. Dans le calcaire de Champigny, des géodes de quartz bleuté sont connues classiquement…
Lacroix est plus prolixe sur la calcédoine et ses variétés :
• Saint-Valéry-en-Caux, Cap de La-Hève, Saint-Jonin et Fécamp (Seine-Maritime) ;
• Saint-Hilaire-des-Noyers (Orne) (variété sardonyx !) ;
• Saint-Romain près de Fismes (Aisne) (stalactites sur axes de quartz) ;
• Cuise-la-Motte et Noyon (Oise) ;
• Grand-Pressigny (Indre-et-Loire), où les grands silex très purs ont été utilisés pour réaliser d’admirables haches taillées au Néolithique ;
• Stalactites blanches à Blizon-en-Rosnay (Indre) ;
• Les sites à quartz « gros sel » sont riches en calcédoine ; Lacroix cite entre autres les fondations du Val-de-Grâce – à Paris – et des stalactites à Neuilly.
• Enfin, il signale que des variétés sardonyx du calcaire de Champigny ont été utilisées pour tailler des camées (une corrélation avec des collections archéologiques serait des plus passionnantes).
Le quartz n’est pas une espèce très présente sous forme cristallisée dans le Bassin Parisien. De jolis petits cristaux ont été trouvés dans les houillères du Nord, à Courrières et surtout à la fosse 2 d’Oignies, dans les années 70, où de grands cristaux fenestrés furent récoltés à 650 mètres de profondeur, certains dépassant le décimètre.
Ils constituent l’une des grandes découvertes modernes, pourtant quasi inconnue7, de la minéralogie du Bassin Parisien.
En Moselle, au point triple de la frontière entre la France, le Luxembourg et l’Allemagne, des gisements sont connus, sous forme de filons, dans les quartzites du Dévonien. En effet, sur quelques kilomètres carrés, le socle du bassin affleure… Ce quartz a été exploité par les faïenceries de Longwy à la carrière du château de Sierck-les-Bains. On y récoltait de petits cristaux laiteux, hématoïdes, de type alpin. Une carrière moderne, à la sortie de la ville, a fourni dans les années 1980, de véritables fours à cristaux. De belles mèches8 transparentes et légèrement hématoïdes sont enchevêtrées et forment des groupes du plus bel effet. Elles mesurent entre 4 centimètres – pour un diamètre de 0,5 cm – jusqu’à 11 centimètres. Quelques inclusions chloriteuses sont connues.

L’autre découverte importante eut lieu en face, sur l’autre rive de la Moselle, mais toujours en France, sur la commune de Contz-les-Bains. Une petite falaise, en-haut des vignes qui fournissent le fameux vin blanc de Moselle, montre un filon de 40 centimètres d’épaisseur, où des fours ont été trouvés au début des années 1980. Les cristaux, parfois très transparents, ont toujours cette teinte hématoïde, signature de ces gisements ; ils peuvent atteindre jusqu’à 20 centimètres, ou former des groupes de 40 centimètres et plus. Des bipyramides, des formes de cicatrisation et même des cristaux aplatis à âme sont aussi fréquents. C’est sans aucun doute l’une des grandes découvertes minéralogiques du Bassin Parisien, bien que l’on se situe exactement en limite, au contact9 du Trias et du socle.
En septembre 1981, je découvre un spécimen avec un beau cristal de 20 centimètres, la découverte est relatée dans le quotidien « Le Républicain Lorrain » (édition Thionville) et fait la couverture (en couleur) de la revue Géolor. Le spécimen a été acquis par le MNHN de Luxembourg, en 2009.

• Le quartz se rencontre en petits cristaux dans les fissures des calcaires ou les moules de fossiles, comme à Pagny-sur-Meuse (Meurthe-et-Moselle), ou les ammonites de Saint Jean aux Amognes près de Nevers (Nièvre), Rumelange (Moselle).
• Les gîtes modernes des marnes et caillasses fournissent des boules hérissées (1 à 3 centimètres) de pointes translucides, comme à Herblay (Val-d’Oise), Conflans-Sainte-Honorine (Yvelines), Varreddes (Seine et Marne) et Nointel (Oise).
• Des géodes de quartz bleutés ont été retrouvées dans le calcaire de Champigny lors des travaux d’urbanisation de Marne-la-Vallée et le chantier de Disneyland Paris.
• Des concrétions calcédonieuses (jaspe), hérissées de pointements laiteux, sont fréquentes dans les sables glauconieux des nombreuses carrières de la région de Saint-Vaast-les-Melo (Oise). Le même type est localement fréquent dans certains gisements des marnes et caillasses (« gros sel », voir plus haut) particulièrement à Conflans-Sainte-Honorine.
Opale : Ce minéral est, bizarrement, l’une des curiosités bien connues du Bassin Parisien. Les opales dites « ménilite » de Ménilmontant, Villejuif et Saint-Cloud, citées dans le Lacroix, sont conservées dans de nombreux musées du monde : il s’agit de concrétions beiges, arrondies et lustrées. Bien évidemment ces localités sont totalement urbanisées et n’offrent des possibilités de récolte que lors de chantiers.
Une autre curiosité est conservée dans les musées : ce sont les silex nectiques qui ont la propriété de flotter sur l’eau pendant un certain temps.
Mais l’opale la plus fameuse et la plus intéressante est la variété rose ou rouge (variété « quincyite ») qui se récoltait à Mehun-sur-Yèvre (Cher). C’est l’un des classiques internationaux de la minéralogie du Bassin Parisien. Des études récentes ont démontré qu’il fallait attribuer la couleur de ces opales à des cellules fossiles proches de l’hémoglobine !
En 2009, des opales roses épigénisant des structures fossiles (spongiaires ?) ont été retrouvées dans un nouveau gîte du même secteur.

Hématite : C’est l’un des composants principaux du minerai de fer lorrain, la « minette », mais elle y cristallise très rarement. Dans ce calcaire oolithique10 daté de l’Aalénien, des loges de nautiles des mines de la région d’Hayange montrent quelquefois des lames centimétriques et des masses terreuses rouge sang.
De même, les environs de la mine de fer de Chaville (Meurthe-et-Moselle) sont réputés pour les ammonites dont les loges de calcite sont magnifiquement colorées de rose et de jaune. Les échantillons sciés et polis étaient très recherchés dans les années 1980.
Des cristaux de formes complexes, atteignant 3 millimètres, sont connus avec le quartz à la carrière du Château de Sierck-les-Bains.

Goethite : Aux limites exactes du Bassin Parisien, le gîte minier de Chaillac (Indre) se situe à cheval sur le socle et la couverture sédimentaire11, ici, des grès hettangiens. Seul, le gîte de baryte, le plus gros d’Europe, doit être considéré comme faisant partie du Bassin Parisien. Ce dépôt barytique est accompagné dans toute la région par des « croûtes ferrugineuses » qui ont fait l’objet d’exploitations sporadiques. (Voir Le Règne Minéral Hors Série n° X-2004).
La carrière de barite des Redoutières, sur la même commune de Chaillac, est devenue l’un des grands sites mondiaux pour les cristaux de gœthite. Les géodes de quartz recèlent de spectaculaires gerbes et tapis d’aiguilles qui peuvent atteindre individuellement 4 centimètres. C’est assurément l’un des gîtes classiques du Bassin Parisien.
La mine voisine du Moulin de Dunet (Indre) a fourni, il y a quelques années, de nombreuses géodes de gœthite mamelonnée brillantes, de délicates goethites mamelonnées velours, ainsi que de jolis microcristaux. Une géode a produit, en 1981, quelques remarquables cristaux épais et pointus, jusqu’à 1,5 centimètres.
Enfin, Lacroix signalait des cristaux au gîte voisin de la Forêt de Chenier. Deux spécimens sont conservés au MNHNP et montrent des cristaux de 2,5 centimètres, d’un très bon niveau.

Célestite : Ce minéral peut être localement abondant dans les séries sédimentaires et donc de nombreux gisements sont répertoriés dans le Bassin Parisien.
Lacroix cite de jolis cristaux limpides à la fosse Grand-Condé à Anzin (Nord). Il existe des veines fibreuses dans les glaisières (argiles) du Trias de Bouvron près Toul (Meurthe-et-Moselle), ainsi qu’à Moyen-Vic, Vic et Dieuze (Moselle). Des boxworks dans le calcaire de Caen sont signalés, ainsi que des cristaux nets à Ville-sur-Saulx (Meuse) et aux localités voisines de Demange-aux-Eaux et Betancourt près de Saint-Dizier (Haute-Marne). Cet auteur cite de beaux cristaux bleus dans des silex de la craie de Meudon (Hauts-de-Seine) et des cristaux de deux centimètres à Bougival (Hauts-de-Seine) dans le fameux conglomérat fossilifère danien appelé « conglomérat de Meudon ». Les argiles plastiques d’Auteuil (Hauts-de-Seine) en contiennent et des cristaux de 2,5 centimètres ont été trouvés à la halte ferroviaire d’Armentiers près de Trilport (Seine-et-Marne). À Lizy-sur-Ourq (Seine-et-Marne) ce sont des pseudomorphoses12 siliceuses. À Romainville (Seine Saint-Denis) et Montmartre (Paris-Seine) on trouvait des bancs décimétriques de célestite granulaire dans lesquels existaient des microcristaux dans des fentes de retrait. Mais le gîte le plus remarquable était celui du lieu-dit Brousseval à Wassy (Haute-Marne) où de beaux cristaux bleus, de 4 centimètres et plus, ont été récoltés.
Pour les localités modernes, tout le monde a en tête le curieux gîte du chantier du « trou des halles » (Paris, 1er arrondissement) où, à la fin des années soixante-dix, de jolis cristaux incolores ou bleus ont été récoltés… à trente kilomètres de là, car les déblais étaient transportés par barges sur la Seine jusqu’aux Mureaux-en-Yvelines ou au Mesnil-Haubry ! Ces cristaux prismatiques transparents, atteignant 1,5 centimètre, se situent au sein de géodes de calcite type « sucre candi » (voir à calcite).
Des cristaux identiques (plus fins et pointus) sont connus dans le même contexte aux carrières souterraines de Varrèdes (Seine-et-Marne) et à Nointel (Oise) ; dans cette dernière localité, ils sont périmorphosés13 par du quartz.
Des pièces modernes auraient été récoltées à Ville-sur-Saulx, la vieille localité de Meuse, mais rien par contre ne semble avoir été retrouvé à Wassy. De belles gerbes de baguettes blanches, jusqu’à 6 centimètres (voire 10 cm ?) posées sur la calcite brune, ont été trouvées dans les septarias du chantier de l’hôpital de Vandœuvre-les-Nancy. On y a récolté aussi de curieuses lamelles corrodées évoquant des   « calcites papiers ».

Halite : Lacroix cite la mine de Varangeville et celle de Saint-Laurent en Einville dans la zone de Dombasle et Risières-aux-Salines (Meurthe-et-Moselle) où l’on exploite également le sel par injections d’eau et pompage de saumure pour la faire cristalliser par évaporation.
Il cite aussi les localités historiques pour l’exploitation du sel de Moyen-Vic, Vic, Dieuze et Château-Salins (Moselle). Des cubes de 8 centimètres auraient été trouvés à Vic et d’autres, précisés de néo-formation, à Dieuze.
Des pseudomorphoses de cubes sont connues dans des arkoses triasiques de Malain (Côte d’Or), de Saint-Avold (Moselle) et les grès de Thoreille près Arnay-le-Duc (Côte d’Or). Enfin, Lacroix signale à Montmartre (Paris-Seine) des pseudomorphoses dans les marnes (plutôt des moulages) jusqu’à 1 décimètre et des pyramides quadrangulaires en marne de 6 centimètres.
À la mine de Varangeville, l’une des dernières mines actives de France, il existe une cavité de dissolution appelée « le lac » où sont stockées une partie des venues d’eau de l’exploitation. Le sel cristallise au fond du lac ou, parfois sur des boisages, parfois sous forme de stalactites. La société exploitante interdit aux mineurs toute incursion en ces lieux, où le plafond est très instable, et cela depuis les années soixante-dix, de telle sorte qu’il est très difficile de se procurer des cristaux…

Anhydrite : Liée aux dépôts salifères du Trias de Lorraine, Lacroix la signale à Remereville (Meurthe-et-Moselle) et Dieuze (Moselle) formant des masses fréquentes et, parfois, des cristaux. Nous avons retrouvé, dans les tiroirs d’un musée, un exemplaire en cristaux, de 4 millimètres, parfaitement formés de Remereville.
Elle a été exploitée par galeries souterraines à Faulquemont (Moselle) dans les années quatre-vingt, pour le comblement des mines de charbon du bassin lorrain : il ne semble pas que des cristaux y aient été récoltés.

Polyhalyte : Nous avons trouvé, dans les tiroirs de l’ex-musée Bally, en Suisse, un échantillon étiqueté comme tel de Varangeville : il se trouve maintenant au MNHN de Luxembourg, en attente de vérification. De même, nous avons trouvé en Allemagne, un spécimen ancien étiqueté « Moyen-Vic ».
Baryte : Lacroix la signale dans les calcaires hettangiens d’Osmanville (Calvados) et Hertré près Alençon (Orne) dans les arkoses du Trias ; dans le calcaire à gryphées de Saint-Valentin (Yonne) avec sidérite, galène et pyrite. Elle est connue aussi dans le Lias inférieur et le Toarcien des environs de Nancy, ainsi que Thil près Longwy (Moselle) en grands cristaux. Il en est de même dans l’Oolithe13 du Lias supérieur des environs de Metz et de Vic (Moselle). Elle est signalée aussi à la fosse Saint-Mark à Anzin et l’on peut, effectivement, voir des cristaux noirs (inclusions de charbon) brillants, de 4 centimètres, groupés en rosettes, dans les vitrines de l’ENSMP.
Les découvertes modernes sont nombreuses, particulièrement dans le secteur de la vallée de la Laize, Calvados, dans des paléokarsts au contact des calcaires cambriens et des grès du Trias, recouverts par les calcaires du Lias exploités en carrières. Les localités de Laize-la-Ville et Fresney-le-Puceux ont fourni de très nombreux cristaux, qui peuvent atteindre 10 centimètres, et des groupes très importants. Les cristaux sont blancs et gris (bicolores) avec de nombreuses faces. Les plus intéressants sont d’un beau bleu brillant, mais sont évidemment les plus rares.
De nombreux indices ont été trouvés dans les septarias de Lorraine, à Terville (Moselle) notamment, en épigénies de bélemnites à Chaville (Meurthe-et-Moselle), mais aussi dans les calcaires hettangiens de Cattenom (Moselle).
Les gisements de fluorine sédimentaire du pourtour du Morvan sont riches en barite, parfois bien cristallisée, comme à la mine du Toyot à Marigny-sur-Yonne et surtout à Pierre-Perthuis, parfois en beaux cristaux jaune d’or de 2 centimètres.
La mine de charbon de La Houve, à Creutzwald (Moselle) recèle, dans des morts terrains, des septarias qui montrent des cristaux en sifflet absolument gemmes et incolores, qui peuvent atteindre 3 centimètres.
Les carrières de Glageon et Wallers-Trelon, déjà citées pour la calcite, sont connues pour de beaux cristaux jaunes de quelques millimètres (très beaux micromontages) à 3 centimètres. À Glageon, au début des années quatre-vingt, un paléokarst était tapissé de cristaux translucides brun grisâtre, très brillants, de 1 à 3 centimètres et formant de beaux spécimens.
Des cristaux tabulaires translucides, de 1 millimètre à 3 centimètres, ont été récoltés dans les mines de cuivre de Longeville-les-Saint-Avold (Moselle) sur une gangue de grès triasique, avec malachite, azurite et lampadite.
Je terminerais avec la carrière des Redoutières à Chaillac (Indre) qui a été le plus gros gîte européen pour cette matière : l’exploitation a cessé en 2005. Le gisement a été riche en nombreux et beaux cristaux jaunes, bleus, hématoïdes, blancs, sous diverses formes et tailles. Ils ont été décrits dans le Hors-série du Règne Minéral n° X (2004).
Des pièces de grande qualité ont été récoltées, les plus extraordinaires étant des cristaux bleus à terminaisons hématoïdes rouges !

Strontianite : Le calcaire de Champigny recèle en Seine-et-Marne des septarias tapissés de cristaux. Ils avaient été décrits comme de la strontianite au dix-neuvième siècle, mais déjà Lacroix contestait cette détermination en effectuant des analyses.
Pourtant cette légende est tenace puisque lorsque les travaux de Marne-la-Vallée et d’Eurodisney ont mis à jour de nouveaux modules cristallisés, ils furent baptisés « strontianite », alors qu’il s’agit simplement de calcite riche en strontium et fortement fluorescente.

Ulexite : Signalée par Lacroix dans le gypse de Lunéville (Meurthe-et-Moselle) en rosettes de 2 centimètres !

Nacrite-Kaolinite : Signalée par Lacroix dans les filons du houiller d’Anzin (Nord) en cristaux micacés nacrés : de tels cristaux existent bien dans les vieilles collections, parfois sous l’étiquette « pholerite ».
Soufre : Signalé par Lacroix en beaux petits cristaux dans les lignites des cendrières du Trépail (Marne). D’impressionnants tapis de petits cristaux étaient fréquents au terril embrasé de Sainte-Fontaine à Creutzwald (Moselle) ; il suffisait d’y soulever un caillou pour voir une fissure fumante, toute jaune, où l’on entendait la vapeur d’eau bouillir… la semelle des bottes en caoutchouc y fondait aussi aisément !

Néphéline : Elle est signalée historiquement dans la seule cheminée volcanique connue du Bassin Parisien : Essey-la-Côte (Meurthe-et-Moselle). Elle est accompagnée par la melilite et la pérowskite.
Glauconie et chamosite : Ces minéraux du groupe des chlorites sont localement très fréquents dans certaines couches : en nodules près de Saint-Diziers (Haute-Marne) et de Sainte-Menehould (Marne), Cap de la Hève au nord de l’embouchure de la Seine (Seine-Maritime), Boulogne-sur-Mer (Pas-de-Calais) et Villers-sur-Mer (Calvados), Cuise-la-Motte et Saint-Vast-les-Mello (Oise), en Touraine, etc.

La chamosite, autrefois dénommé « berthierine », est un constituant de la couche verte des minerais de fer lorrains.
Magnésite : Bien qu’objet d’exploitations anciennes ou actuelles, aucun cristal ou spécimen n’est connu. Elle est signalée à Chennevières près Champigny (Val-d’Oise), en inclusions dans l’opale ménilite de Ménilmontant (Paris-Seine) et en associations ou inclusions dans l’opale rose de Quincy-sur-Cher et Mehun-sur-Yèvre (Cher) (voir à opale).
Cérusite : Elle est présente sous forme massive au gisement de Bleiberg à Saint-Avold (Moselle) où elle imprègne les grès du Trias. Des stalactites de néoformation s’y seraient développées. Elle forme des enduits blancs sur les galènes du gîte de fluorite de Marigny-sur-Yonne (Nièvre).

Azurite : Elle imprègne les grès triasiques de la mine du Haut-Bois à Longeville-les-Saint-Avold (Moselle). Elle tapisse de microcristaux des fissures avec enduit de lampadite. Plus rarement, se développent des rosettes de beaux cristaux centimétriques transparents.
Malachite : Elle accompagne l’azurite à Longeville-les-Saint-Avold (Moselle). Les sphères isolées de quelques millimètres y sont classiques, mais ont atteint quelquefois 2 centimètres, formant de rares mais beaux spécimens pour la France. Un autre faciès est très curieux : il s’agit de fibres torsadées de quelques millimètres de longueur, tout à fait identiques à celles de Schwatz au Tyrol autrichien.

Sidérite : Elle est curieusement peu fréquente, même dans les minerais de fer lorrains où elle n’est qu’un constituant mineur. Néanmoins, il existe dans ces régions des re-concentrations dans des paléokarsts, qui ont été exploitées dès le Moyen Age sous le nom de « mine de fer fort ». C’est sans doute de ce type de mine que provient l’échantillon acheté dans la collection d’un géologue allemand, étiqueté Saint-Julien-les-Metz (Moselle) et constitué de rhomboèdres limonitisés centimétriques.
Elle est abondante, sous diverses formes, au terril de La Houve à Creutzwald (Moselle). Elle y forme des cristaux lenticulaires bien nets, de 0,5 à 1 centimètre, souvent accompagnés de pyrite ou de chalcopyrite.
Ces lentilles peuvent se regrouper en boules, couvertes d’un voile de pyrite irisée qui épigénise des troncs de fougères arborescentes. Plus rarement, des rhomboèdres translucides, brun-vert, centimétriques, d’une qualité tout à fait remarquable, ont été récoltés.

Pyrolusite (et hydroxydes de manganèse) : Elle est présente en petite quantité sur la goethite de Moulin de Dunet et Forêt de Chenier (Indre). Elle est ubiquiste dans de nombreuses localités où elle ne présente aucun intérêt. De belles dendrites se trouvent de temps à autre : j’en ai récolté de fort jolies sur le gypse de Saâcy-sur-Marne (Seine-et-Marne). Le gîte de cuivre du Haut Bois à Longeville-les-Saint-Avold est très riche en lampadite qui sert de support à la malachite et à l’azurite.

Glaubérite : Lacroix la signale en masses rouges dans la mine de Varangeville (Meurthe-et-Moselle) avec la polyhalyte, mais aussi en beaux cristaux à Vic (Moselle)…

Mellite : Ce curieux minéral de la classe des organites est décrit par Lacroix en petits octaèdres jaune miel sur ambre et marcasite, dans les lignites d’Auteuil (Hauts-de-Seine).

Whewhellite : Cet autre minéral de la classe des organiques a été récolté, lors du chantier du TGV-Est, à Vandières (Meurthe-et-Moselle) près de Pont-à-Mousson, en jolis petits cristaux transparents.

Ambre : Outre le gîte historique d’Auteuil déjà cité, un extraordinaire gisement a été découvert ces dernières années à Verberie dans l’Oise, où les morceaux transparents, d’un très beau jaune, recèlent assez souvent de très gros insectes en inclusions, d’autant plus intéressants qu’ils sont plus vieux que la plupart des ambres classiques !

Hydromagnésite : Lacroix la signale (sous le vieux nom de « leesbergite ») en filonnets dans la minette, vers Hayange (Moselle).

Fluorite : Cette espèce qui passionne tant de collectionneurs est présente, mais discrète, dans le Bassin Parisien.
Lacroix la cite dans diverses localités d’Île-de-France à l’intérieur des fameuses géodes « sucre candi » (voir plus haut, à calcite) du niveau « marnes et caillasses » du Lutétien. Les découvertes modernes dans ce faciès ne sont vraiment pas fréquentes :
Varreddes (Seine-et-Marne), Herblay (Val-d’Oise) et « trou des Halles » (Paris-Seine). Il s’agit de cubes de couleur café crème de 1 à 3 millimètres d’arêtes et peu transparents.
Le pourtour du Morvan, aux limites du Bassin, recèle le plus gros gisement en réserve de spath-fluor : des dizaines de millions de tonnes qui gisent dans un niveau d’arkoses triasiques silicifiées, l’assise de Chitry. Il existe sept bassins différents, dont très peu ont été tracés par des travaux miniers autres que des forages.
Les cristaux sont abondants à la mine du Thoyot à Marigny-sur-Yonne (Nièvre) en cubes de 0,5 à 4 centimètres, souvent brun jaunâtre, très altérés, mais parfois en cubes jaune d’or, centimétriques, brillants. La zone d’affleurement de Pierre-Perthuis, déjà citée pour la barite, fourni des cubes brun jaunâtre, jusqu’à 1,2 centimètres, qui présentent la troncature du rhombododécaèdre et sont plutôt jolis.
Des travaux effectués pour la construction d’une maison de retraite, dans Avallon en 2008, ont recoupé l’assise de Chitry et fourni de nombreuses géodes constellées de cubes de 3 à 5 millimètres jaune paille. Tous les travaux de cette région sont potentiellement porteurs et, des travaux historiques du canal du Nivernais au TGV Lyon-Paris en 1980, les découvertes de cristaux ne sont pas rares.
En hiver 2010, de jeunes amateurs lorrains en découvrent dans le calcaire à polypiers du Bajocien des Côtes de Moselle, aux environs de Thionville. Les cubes jaunes, centimétriques, transparents, reposent sur des cristaux de calcite blanche, dans des moules internes décimétriques de polypiers. (Ils ressemblent beaucoup aux spécimens découverts aux carrières d’Argiesans en Territoire de Belfort).
Dans les années quatre-vingt, un collègue géologue découvre, dans le calcaire bajocien de Le Blanc (Indre), des cubes incolores transparents de 0,5 millimètre dans un contexte identique.
Des sondages réalisés par l’ANDRA dans le site pilote de stockage souterrain de Bures (Meuse) ont rencontré plusieurs niveaux minéralisés en fluorines qui font l’objet de recherches métallogéniques.
Le gîte de barite de Chaillac, déjà cité, montre, au contact du socle et des grès barytiques hettangiens, une zone, dite « des plateures », exploitée par la vieille mine de la Société Paris-Outreau vers 1950. La fluorite s’y présente sous forme de cubes, parfois assez grands, violets blanchâtres opaques, avec de fortes figures de corrosion.
L’indice voisin des Pradeaux se situe dans le même contexte, bien que les cristaux n’y aient pas été signalés.
Les cristaux de fluorite les plus intéressants du Bassin Parisien sont sans doute ceux des carrières de Glajeon et Wallers-Trelon (Nord). Elles exploitent les calcaires récifaux dinantiens du socle recouvert par le Crétacé. La fluorite s’y présente sous forme de cubes avec, souvent, les troncatures du rhombododécaèdre, les faces supplémentaires de l’hexaèdre et d’autres qui seraient à mesurer. La couleur est d’un beau violet transparent et la petite taille – rarement plus du centimètre – est compensé par la fraîcheur et le contraste des échantillons.
On connaît aussi des sphères mauves jusqu’à 1,5 centimètre, des cubo-octaèdres, des épigénies de polypiers, et de très curieux cristaux aplatis formés de rhombododécaèdres polysynthétiques déformés. Tout au fond de la carrière de Glajeon, des fragments de cristaux jaunes ont été récoltés. Ces fluorites du Nord sont suffisamment transparentes pour pouvoir être taillées.
La carrière du Caillois à Glajeon était exploitée par le groupe Bocahut qui y produisait le chiffre impressionnant de 600 000 tonnes de granulats par an. Les autorisations de recherche étaient délivrées avec bienveillance jusqu’à ce qu’un grand groupe cimentier en reprenne le contrôle pour augmenter la capacité de production…

Marcasite : Elle est abondante et diversifiée dans le Bassin Parisien. Lacroix la cite dans les dièves14, ces puits naturels remplis d’argile turonienne recoupés par les mines de charbon du Nord.
Elle est connue en beaux cristaux dans le Sénonien de Lezennes (Nord), mais aussi à Cartigny (Somme), Rouen, Dieppe, Étretat, et Fécamp (Seine-Maritime), Tourneville et Villette près de Louviers (Eure), Trouville (Calvados), Beauvais (Oise), Mantes, La-Roche-Guyon et Dennemont (Val-d’Oise), Meudon (Hauts-de-Seine), Beaumé, Leuze, La Folie-Hot, Belenglise et Aubeton (Aisne).
Les gros nodules de la Marne sont bien connus à Épernay, Chalon-sur-Marne, Cheppy et Reims. Il y a aussi ceux de l’Aube à Creney, Montgeux et les beaux cristaux posés sur des fossiles à Saint-Parres-aux-Tertres. Enfin, il y a les localités ardenaises d’Aubigny, Logny-Bogny, Marlemont, Vaux-Vilaine, Faleul, Razy et Vouziers ; et celles de l’Yonne à Aillant, Turny, Dracy, Chailley et Brion.
Évidemment, Lacroix cite la localité-phare du cap Blanc-Nez à Escalles (Pas-de-Calais).
Cette localité a été parcourue avec assiduité depuis la seconde moitié des années soixante-dix avec succès puisque des milliers de pièces bien cristallisées ont été sauvées d’une irrémédiable destruction par l’érosion marine.
Certaines d’entre-elles atteignent un niveau d’excellence international, parmi les meilleurs spécimens connus pour l’espèce, avec ceux de Tchéquie et ceux de la région de Hanovre en Allemagne. Une pièce maîtresse, avec des cristaux parfaits de 4 centimètres, exposée au musée minéralogique de l’Université Pierre et Marie Curie, a même été l’effigie d’un timbre poste ! Ces cristaux, dégagés à l’acide de leur gangue crayeuse, sont assez stables si l’on prend quelques précautions. Ce gîte est l’un des sites minéralogiques majeurs du Bassin Parisien.
La carrière voisine de Damnes (Pas-de-Calais) prend quelque peu le relais du site du Cap Blanc-Nez, maintenant difficile d’accès pour des raisons de protection écologique pas forcément justifiées16…
La localité de Saint-Parres-lès-Vaudes (l’ancien St-Parres-au-Tertre de Lacroix) a été l’objet d’exploitations de marnières, dans les années 70 – 80, très célèbres pour la fabuleuse faune d’ammonites pyriteuses de l’Albien. On y a retrouvé de beaux cristaux centimétriques dans une couche de sables glauconieux.
De même, le village de Chépy-sur-Marne, déjà cité par le grand minéralogiste, fait l’objet d’exploitation de craie où l’on a récolté de grands cristaux – jusqu’à 7 centimètres, limonitisés et stables – groupés en nodules aux formes spectaculaires. Enfin, les calcaires gréseux hettangiens de Thollet à proximité de l’Indre, mais dans la Vienne, recèlent de beaux cristaux centimétriques.
Les nodules de marcasite des champs de diverses localités de la Marne, ont été récoltés en très grande quantité dans les années 70 – 80 et commercialisés dans le monde entier, malgré un intérêt minéralogique limité et une instabilité qui peut se transmettre à d’autres sulfures placés à proximité dans une vitrine…
Pyrite : Elle est tout aussi abondante que son dimorphe la marcasite. Lacroix cite le houiller de la fosse St-Mark à Anzin (Nord) et les cubes déformés de 2 centimètres de Courrières (Pas-de-Calais). D’autres localités sont citées comme Villers-sur-Mer (Calvados), Leulinghen (Pas-de-Calais), Vassy-les-Avallon et Vilon près Cruzy (Yonne), Creney, Jaugles et Villefargeau en Haute-Marne. Enfin, il cite les mines de fer d’Hayange et d’Aumetz en Moselle.
Les localités modernes sont nombreuses, à commencer par le Cap Blanc-Nez où elle accompagne la marcasite, mais n’est pas toujours facile à distinguer de cette dernière (grands octaèdres en trémies). Les mines de charbon du Nord en ont fourni sporadiquement, sans qu’une localité se détache particulièrement ; en Lorraine, le terril de La Houve montrait souvent des cubes à faces courbes de plusieurs centimètres.
Les mines de fer de Lorraine sont riches en spécimens accompagnant la calcite, particulièrement dans la zone d’Hayange même si les localités précises ont rarement été notées. Ces pyrites sont souvent instables. La mine de Bouligny, dans la Meuse, l’exploitation la plus occidentale du plateau lorrain, recélait de jolies croissances épitaxiales sur cristaux de calcite.
Les marnes liasiques de Lorraine contiennent des nodules hérissés de petits cubes, comme à Ludres, Chaville ou Jeandelaincourt (Meurthe-et-Moselle). Le gîte de Leforest (Nord) en montre aussi. Les carrières de Glajeon et de Wallers-Trelon sont connues classiquement pour des aiguilles en inclusions dans la calcite lui donnant un bel aspect, mais aussi pour des petits cristaux riches en faces.
Enfin, la pyrite forme des enduits ou des inclusions dans des calcites des carrières de l’anticlinal du Boulonnais. La carrière de Leulinghen, déjà citée du temps de Lacroix, montre une faille spectaculaire qui fait remonter le houiller en contact avec les calcaires liasiques. Des troncs d’arbres fossiles étaient tapissés, parfois sur plusieurs mètres, de beaux cubo-octaèdres centimétriques groupés en nodules : le spectacle – pour ceux qui ont eu la chance de le voir – était magnifique. La seule ombre au tableau, outre le fait que la carrière est très surveillée, est que ces échantillons sont le plus souvent instables…
Chalcopyrite : Elle forme de jolis microcristaux au terril de La Houve (Moselle) accompagnant d’autres sulfures et peut se retrouver en inclusion dans des barites gemmes.

Digénite – chalcocite : Elle forme des mouches au gisement de Longeville-les-Saint-Avold (Moselle) avec malachite et azurite.

Galène : Lacroix la signale, en 1891, à Wallers-Trelon ; la carrière moderne ne semble pas en recéler. Elle est signalée aussi, en relation avec la fluorine, à Beauregard (Yonne) et Remilly (Côte-d’Or) ; à Lacour-d’Arcenay (Côte-d’Or) elle épigénise des fossiles. De même, elle a été trouvée en mouches dans l’oolithe ferrugineuse de Lorraine. Enfin, Lacroix cite le gîte de Bleiberg à Saint-Avold et l’indice voisin de Hagarten-aux-Mines (Moselle) encaissé dans les grès du Trias.
Pour les découvertes modernes, elle est peu fréquente au terril de La Houve (Moselle) en beaux microcristaux. Elle existe sous trois formes dans le gîte de Marigny-sur-Yonne (Nièvre) : des cubes centimétriques isolés dans la fluorite ; des empilements de petits cubes dans des géodes ; et de curieux cristaux squelettiques enchevêtrés dans la fluorite.

Sphalérite : Lacroix la signale avec la galène à Wallers-Trelon, en cristaux à la fosse Saint-Mark à Anzin et aussi près d’Arras (Nord). Elle accompagnait la galène dans l’oolithe ferrugineuse. Elle serait connue dans un filon d’hématite à Creutzwald (Moselle). De petits cristaux bruns, transparents, ont été trouvés dans une argile ligniteuse de Mirancourt-d’Oyon (Oise) ; enfin, elle accompagne la célestite et la pyrite dans les septarias du Lias de Lorraine à Grimont.
C’est dans un contexte identique à celui de cette dernière localité que plusieurs découvertes récentes ont été faites à Jeandelaincourt (Meurthe-et-Moselle) et Terville (Moselle).
Elle forme de remarquables cristaux de 2 à 3 millimètres, gemmes et maclés, au terril de La Houve (Moselle). Exceptionnellement, des groupements polysynthétiques peuvent y atteindre 2 centimètres.
De beaux cristaux noirs centimétriques ont été récoltés dans des géodes de calcite lors de la construction de la centrale nucléaire de Civeaux (Vienne).
Salmiac : Des masses formées de cristaux blancs centimétriques étaient assez fréquentes au terril embrasé de Sainte-Fontaine à Creutzwald (Moselle).

Saphir : De jolis petits cristaux bleus, transparents, (0,5 à 3 millimètres) ont été récoltés dans les alluvions de la Loire aux environs de Gien (Loiret). Ils étaient accompagnés de tout un cortège d’autres minéraux alluvionnaires classiques (grenat, magnétite, pyroxène, etc.). Leur origine est à chercher dans les volcans du Massif Central.

Dolomite : De jolis cristaux – en selle – blancs, ou d’un joli rose, sont fréquents à Glajeon et Wallers-Trelon (Nord). Ils sont d’une grande fraîcheur et très esthétiques en association avec les calcites remarquables de ces gisements.
Les localités anciennes des mines de charbon du Nord, comme Courrières (Pas-de-Calais) en recélaient de jolis rhomboèdres blancs de 2 millimètres.

Gypse : Le Bassin est riche en gisements de ce minéral, soit dans le Trias, soit dans le Ludien (tertiaire) où des couches d’une pureté extraordinaire sont connues en Île-de-France. Soixante-dix pour cent du gypse de France y a été exploité et quelques carrières y travaillent toujours. Le gypse apparaît aussi dans de nombreuses couches argileuses, comme produit de décomposition de la pyrite. Les gîtes à cristaux, anciens ou récents, sont extrêmement nombreux.
Lacroix cite des cristaux lenticulaires dans le Trias à Vic (Moselle) et de beaux cristaux à Einville (Meurthe-et-Moselle). Les monocristaux dans les argiles sont fréquents à Argenteuil (Val-d’Oise) et Montmartre (Paris-Seine), ils forment de belles macles aux falaises de Berneville et des Vaches-Noires (Calvados) ; à Bailleul (Nord) ; à Venoy (Yonne) ; Chinon (Indre-et-Loir) ; Auteuil, Issy, Meudon et Bougival (Hauts-de-Seine). De beaux cristaux sont signalés à Wassy (Meuse) à la minière de Maupas, dans un gîte différent de celui des fameuses célestites. De beaux cristaux sont décrits à Onnézy-en-Bouilly près de Reims (Marne).
Les cristaux en « fer de lance » (macle) viennent tous d’Île-de-France : Montmartre, Romainville, Noisy-le-sec, Neuilly-Plaisance, Anet, Lagny-Thorigny, Chelles, Vaujours, Gagny.
Enfin, des pseudomorphoses de cristaux lenticulaires en quartz ou calcite, sont connues aux abattoirs de Vaugirard et au château de la Muette à Passy (Paris-Seine), à Issy, Clamart et Herblay.
Les localités modernes sont aussi extrêmement nombreuses.
La plus remarquable était la glaisière d’Angervilliers (Essonne) où les rosettes de cristaux transparents étaient très abondantes (des milliers). Les cristaux les plus remarquables, absolument gemmes et parfaits, atteignent 30 centimètres ! Les très belles gerbes au-delà de 15 centimètres restent tout de même rares.
Les gîtes de Mailly-Champagne et Berru (Marne) recèlent toutes sortes de cristaux, parfois très transparents, d’autres remplis d’inclusions ligniteuses. De spectaculaires gerbes décimétriques sont connues.
Les marnières de Jeandelaincourt (Meurthe-et-Moselle) et de Le Forest (Nord) montrent des monocristaux de 4 à 10 centimètres, parfois très transparents. Les plus intéressants montrent des macles en forme de X.
Des cristaux ont été trouvés au Moulin d’Orgemont à Montfermeil (Seine-Saint-Denis), Nointel (Oise), Bougival (Hauts-de-Seine) et autres.
Les macles en « fers de lance » ont été trouvées à Chelles, Gagny, Lagny, Villejuif, Paris 12e, Carnentin, et surtout Vaujours où elles ont pu, parfaitement translucides, atteindre 70 centimètres. On en trouve systématiquement dans la couche de marne entre la première et la deuxième masse du gypse ludien.
Les tunnels ferroviaires d’Éole à Paris ont permis de trouver de curieuses macles en arêtes de poissons et quelques belles lentilles ambrées décimétriques parfaitement gemmes.
Les parois des karsts gypseux recoupés par les carrières sont couvertes de petits cristaux translucides comme à Vaujours, Triel-sur-Seine ou Taverny. Les remplissages argileux de la grotte Denis Parisis à Villiers-Adam sont constellés de beaux monocristaux gemmes, aux formes curieuses. Ce réseau naturel de près de 5 kilomètres, le plus vaste de l’Île-de-France, a été en grande partie « mangé » par les travaux de carrière et l’on regrette amèrement de ne pas avoir sauvé plus de cristaux.
Les pseudomorphoses de cristaux lenticulaires en calcite (type « sucre candi ») se sont récoltées à Conflans-Sainte-Honorine (Yvelines).
Les niveaux dits « pied d’alouette » montrent quelquefois des cristaux libres comme à Saâcy-sur-Marne (Seine-et-Marne).
Les mines de sel par injection de Rosières-aux-Salines (Meurthe-et-Moselle) ont montré une belle curiosité à la fin des années 70. Des tuyaux étaient bouchés et lorsqu’ils furent démontés, ils étaient tapissés de cristaux de gypse bruns, maclés en « queue d’hirondelle » qui firent la joie des collectionneurs nancéens. Aujourd’hui, les tuyaux ont subi des modifications afin d’y empêcher la formation de cristaux17…
Les gisements sont innombrables comme celui de la zone industrielle de Peltre (Moselle) où, en 1975, je récoltais de vilains cristaux de 2 centimètres : c’étaient mes premiers cristaux trouvés…
Ceci termine ce panorama minéralogique du Bassin Parisien. Ce n’est pas un inventaire, travail qui dépasserait largement du cadre de cet article. Ce n’est qu’un début, je vous invite à consigner avec rigueur toute découverte et à la faire connaître : vous participerez ainsi à la protection, connaissance et mise en valeur de notre patrimoine géologique.

Alain Martaud, Chambéry, juin 2010

Bibliographie :
-Lacroix, Minéralogie de la France, …
-Des roches au service de l’homme, catalogue de l’exposition du MNHNP « 200 ans de géologie du bassin parisien », 1994
-Le Cahier des Micromonteurs, n°100 2-2008
– Bulletins Géolor n°1, 2, 3 et 4 ; 1981 à 1984
-Le Règne Minéral, éditions du Piat ; n° 28 (1999) ; n° 81 ; n° 67 ; HS n°11 ; HS n° Morvan ; n°10 ; n°25 ; HS n°2 et le n° des saphirs (n¨93, mai-juin 2010).
Notes ajoutées :
Note 1 Synsédimentaire : Phénomène qui s’est produit pendant la sédimentation ou au sein d’un dépôt tout juste formé, encore meuble, ou peu compacté. Le préfixe syn, tiré du grec sun-, signifiant ensemble.
Note 2 Socle : Vaste ensemble de terrains, très plissés, généralement métamorphisés et souvent largement granitisés, ayant été pénéplané et sur lequel reposent en discordance des terrains sédimentaires (et/ou volcaniques) qui en forment la couverture…
Note 3 Chaîne varisque : Vaste chaîne formée au cours du cycle varisque par de nombreuses phases tectoniques vers la fin de l’ère primaire. Ses structures sont encore bien visibles en Europe et en Amérique du Nord ; en France elle forme le fameux V hercynien… on estime qu’elle fut plus haute que l’Himalaya actuel !
Note 4 ANDRA : Créé en 1991, l’Andra (Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs) est un établissement public à caractère industriel et commercial… l’Andra mène, dans le site de Bures dans la Meuse, toutes sortes d’étude possibles et imaginables sur la géologie régionale afin d’y envisager un stockage de longue durée…
Note 5 Marnes et caillasses lutétiennes : Les « marnes et caillasses sont un faciès classique du Lutétien.
• Marnes : roches sédimentaires constituées d’un mélange de calcaire et d’argile (de 35 à 65 %) exploitées dans des marnières pour l’amendement des sols.
• Caillasses : habituellement, pierres sans valeur…Désigne ici un banc calcaire mal formé.
• Le Lutétien – terme initié par Albert de Lapparent en 1883, de Lutetia, ancien nom de Paris – est le deuxième étage l’époque Éocène. Il s’étend de -48,6±0,2 Ma à – 40,4±0,2 Ma.
Note 6 Épigénies : du grec épi, au-dessus, et geneia, naissance ; ce terme est employé en minéralogie et pétrographie. En minéralogie, remplacement lent, au sein d’une roche, molécule par molécule, d’un minéral par un autre. Ce phénomène est lié à un apport de substance au point considéré (d’où l’emploi du synonyme métasomatose). Pour plus de détails reportez-vous, infra, à la note 12 « pseudomorphoses ».
Note 7 : Les lecteurs des numéros déjà anciens du Bulletin auront gardé en mémoire, un article, accompagné de dessins, décrivant des cristaux de quartz des houillères du Nord…
Note 8 Mèches : Ce terme vernaculaire est employé pour décrire des cristaux de quartz élancés de grande taille…
Note 9 Contact Trias – socle : La zone de contact entre le socle et la couverture triasique constitue un point de recherche privilégié…
Note 10 Calcaire oolithique : Calcaire comportant des oolithes dans sa composition.
• Le calcaire est une roche sédimentaire carbonatée contenant au moins 50 % de calcite CaCO3.
• Les oolithes, du grec ôon, œuf et lithos, pierre, par comparaison avec les œufs des poissons, sont de petites sphères dont le centre (ou nucléus) est un débris (grain de quartz, fragment de test coquiller, etc.), et dont l’enveloppe (ou cortex), formée de couches minces, donne une structure concentrique à l’ensemble. À cette structure concentrique, se superpose, parfois, une structure radiaire… Dans leur grande majorité, les oolithes sont calcaires, certaines sont ferrugineuses, d’autres sont glauconieuses, ou encore phosphatées. Le diamètre des oolithes va de 0,5 mm à 2 mm en moyenne.
La  » minette  » de Lorraine est un minerai de fer oolithique daté de l’Aalénien. Les oolithes ferrugineuses de ce minerai sont composées d’hématite, de sidérite, de berthiérite (chamosite) ; elles sont prises dans un ciment de même composition avec, parfois, un peu de phosphate…
Note 11 Couverture sédimentaire : Terrains généralement sédimentaires, rarement volcaniques, reposant en discordance sur le socle… (voir socle, note 2)
Note 12 Pseudomorphoses siliceuses : Dans une pseudomorphose la forme du premier minéral est conservée, alors que le minéral initial a été remplacé.
La modification des conditions physico-chimiques, entraîne une instabilité d’un minéral : il se transforme (en un ou plusieurs autres) ! Lorsque cette transformation s’effectue sans qu’il y ait modification de forme, on parle de pseudomorphose (du préfixe  » pseudo « , et du grec morphê, forme – le préfixe  » pseudo « , tiré du grec pseudês, menteur – signifie,  » à première vue, par erreur, prétendu, prétendument, soi-disant « ). Dans le cas présent, la silice a remplacé le sulfate de strontium, la forme cristalline de la célestite originale est conservée. 
Note 13 Périmorphosés : Les périmorphoses (du grec peri, autour, et morphê, forme) constituent un cas particulier parmi les pseudomorphoses : elles gardent en mémoire l’enveloppe extérieure du minéral originel… qui parfois a partiellement ou totalement disparu.
Note 14 Oolithe : Synonyme de couche de calcaire oolithique (voir la note 10).
Note 15 Diève (s. f.) (prononcer *diè-v’) ou dief, (s. m.) : Ces termes ne figurant pas dans le dictionnaire de géologie, j’en donne une définition tirée d’un autre dictionnaire : Terme de géognosie. Nom donné, dans le nord de la France, aux dépôts argileux qui se trouvent dans le terrain houilleux et sur lesquels sont souvent les nappes d’eau souterraines. Il semble que des gouffres géants, du style Papouasie, se soient formés au Crétacé dans la craie, jusqu‘à atteindre les couches sous-jacentes de charbon, puis qu’ils se soient comblés d’argiles qui peuvent recéler des fossiles de dinosaures comme à Bernissart en Belgique.
Note 16 « pas forcément justifiées » : Car, en effet, la mer continuant son travail de sape, comme en beaucoup de lieux et places, prélever c’est protéger…
Note 17 : Un phénomène analogue était signalé, sensiblement à la même époque, dans le Cristallier Suisse ; il concernait les conduites fermées utilisés pour les saumures de la mine de Bex, dans le Canton de Vaud…


Le fer de l’Age du Bronze
Les premiers objets en fer sont bien d’origine extra-terrestre

Albert Jambon
Université P. et M. Curie et
Muséum National d’Histoire Naturelle (Paris).

1. Introduction

Au Proche-Orient, la fin du Néolithique se situe environ vers 3300 avant J.-C. Les hommes maîtrisent l’agriculture et l’élevage ce qui leur permet la sédentarisation en villages plus ou moins importants. La poterie est elle aussi maîtrisée et en ce qui nous concerne les hommes savent construire des fours permettant d’atteindre des températures de 1000°C.
L’Age du Bronze est caractérisé par l’acquisition de la métallurgie, de l’écriture et de l’urbanisation. Ces trois critères a priori indépendants sont en fait culturellement liés. La métallurgie a débuté avec l’utilisation des métaux natifs comme l’or, l’argent et le cuivre qui n’exigeaient qu’un travail de mise en forme par martelage à froid, au moins au début. La fusion viendra ensuite avec des fours améliorés et la maîtrise progressive des alliages de bronze.
La sédentarisation en relation avec l’agriculture et l’élevage va bouleverser la structure sociale en créant de la richesse et en permettant l’augmentation des populations. On va voir apparaître des potentats qui vont régner sur des provinces géographiques plus ou moins importantes en ayant à leur disposition une force armée leur permettant de protéger leur richesse et de contrôler celle de leurs sujets, et une aristocratie qui accumulera plus ou moins des richesses et donc des objets de grande valeur pour le plus grand bonheur des archéologues. Liés à cette évolution, les échanges commerciaux se développent, des voies de communications se mettent en place sous le contrôle des potentats locaux, et des matières précieuses sont transportées sur des grandes distances. L’écriture apparaîtra dans ce monde du commerce et d’accumulation des richesses en vue de tenir une comptabilité vers 3300 avant J.-C. L’Age du Bronze se terminera au Proche-Orient vers 1200 avant J.-C. avec l’apparition de la métallurgie du fer et une évolution concomitante de la société qui acquiert une structure moderne. Dans le détail on ne sait pas trop, ni où ni quand, est apparue la métallurgie du fer. On pensait il y a quelques années que les Hittites d’Asie Mineure en étaient les inventeurs et qu’ils avaient gardé ce secret jalousement jusqu’à la chute de leur empire. On avait même écrit que le fer leur avait donné une supériorité en termes d’armement ce qui pouvait expliquer leur réussite. Aujourd’hui ces idées vieillottes sont totalement abandonnées car elles ne sont pas validées par les données archéologiques. On s’accorde cependant sur le fait que c’est quelque part au Proche Orient, et que la découverte se propagera lentement vers l’ouest européen et vers l’est asiatique.
Il y a toutefois un petit problème que l’on a eu tendance jusqu’ici à pousser sous le tapis : de rares objets en fer ont été découverts tout au long de l’Age du Bronze dans de nombreux sites, en Egypte, en Anatolie, Iran, Asie centrale, Levant, Grèce, monde Egéen. Le nombre d’objets découverts augmente avec le temps mais cela est sans doute dû, en partie au moins, au nombre de sites préservés et fouillés qui augmente lui aussi avec le temps. La liste dressée par Waldbaum (1980, 1999) recense plus d’une soixantaine de trouvailles depuis la fin du Néolithique jusque vers la date fatidique de 1200 avant J.-C. Bien évidemment des explications contradictoires ont été proposées.
La première, avancée dès le début du vingtième siècle, propose que le fer en question était d’origine météoritique. Bien sûr d’autres archéologues ont immédiatement proposé une autre explication : la métallurgie de l’Age du Bronze était restée confidentielle sous le contrôle de quelques potentats qui en gardaient le savoir-faire jalousement. Les deux écoles avaient des arguments à présenter.
– Les fers de l’âge du Bronze lorsqu’ils ont été analysés, présentent souvent dans leur composition, une quantité appréciable de nickel. Or cet élément est la signature caractéristique du fer des météorites. A l’âge du fer, les objets ne contiennent plus de nickel en quantité significative. Certains ont fait l’objet d’une étude métallographique et sont effectivement d’origine météoritique, mais le sont-ils tous ?
– Beaucoup de ces objets en fer contiennent une quantité de nickel bien en dessous de la valeur météoritique normale et donc logiquement ne peuvent être considérés comme météoritiques.
Une explication proposée est que certains minerais de fer, développés sur des massifs ophiolitiques contiennent du nickel (ce sont parfois des minerais de nickel) ; ils pourraient donc expliquer les faibles teneurs en nickel des objets de l’âge du bronze, de tels minerais étant connus depuis la Croatie jusqu’à l’Iran en passant par l’Albanie, la Grèce, l’Anatolie et Chypre. Ce qui est troublant est que dès le début de l’âge du fer, les teneurs significatives en nickel disparaissent dans le métal.
Bref, une belle controverse où chaque partie pouvait avancer argument et contre-argument pour finalement arriver à un armistice ou un gentleman agreement, décidant que si la teneur en nickel dépassait 3 % alors ça devait être du fer météoritique et si c’était moins alors ça devait être du fer terrestre. Cette conclusion s’est avérée totalement stupide car des analyses successives du même objet ont montré des teneurs au dessus et en dessous de la valeur fatidique d’une part et que d’autre part le même objet analysé en différents points pouvait montrer des teneurs en dessus et en dessous de celle valeur critique. Pour déterrer la hache de guerre il fallait toutefois disposer d’arguments convaincants, donc nouveaux. Le développement d’analyseurs portables a permis de multiplier les analyses et de réinterpréter les données analytiques anciennes, montrant notamment que les effets de l’altération sur la teneur en nickel avaient été totalement sous-estimés.

2. Quelques objets de fer de l’Age du Bronze.

21. Le pendentif d’Umm el Marra (Syrie)


Le site d’Umm el Marra a été fouillé par une équipe américano-hollandaise. Dans une tombe datée de 2200 av J.-C., en plus d’un mobilier important on a trouvé des éléments de parure en pierres colorées et en or, ainsi qu’un pendentif en fer. Nous avons pu analyser cet objet au musée d’Alep en 2013. L’objet est très fortement altéré. Sa teneur en nickel est de l’ordre de 2-4 %.

22. Les perles de Gerzeh (Egypte)

Le cimetière de Gerzeh a été fouillé par l’équipe de Petrie au début du vingtième siècle. Neuf perles en fer on été découvertes dans deux tombes datées de 3200 av. J.-C. donc de la limite Néolithique – Age du Bronze. L’analyse des perles a révélé du nickel et Petrie a immédiatement proposé que ce soit du métal météoritique. Plus tard, d’autres analyses n’ont pas confirmé ces résultats jetant le doute sur les interprétations initiales. Des travaux récents (Rehren et al. 2013 et Johnson et al. 2013) ont montré sans ambiguïté possible qu’il s’agissait bien de fer météoritique. En fait ces perles sont de petites plaques de métal enroulées en tube. Il s’agit bien de bijoux comme le révèle l’association avec d’autres perles précieuses et un mobilier de luxe. Des expériences récentes indiquent qu’elles ont très probablement été mises en forme par martelage à froid, une technique primitive qui était alors commune pour le cuivre ou l’or.

Perles de Gerzeh © Gianluca-Miniaci_musee-Petrie

23. La dague d’Alaca Höyük (Turquie).

La dague d’Alaca Höyük qui date d’environ 2600 av J.-C. est elle aussi un objet prestigieux trouvé dans une tombe. Son manche est en or et son fourreau présentait une partie en or. La lame est en fer et sa teneur en nickel élevée indique qu’il s’agit bien de fer météoritique. La technique d’élaboration d’une telle lame nécessite un travail du métal à chaud.

Dague d’Alaca Höyük © Museum Anatolien des Civilisations à Ankara.


24. La hache d’Ougarit (Syrie)

Cette hache est un prestigieux objet d’apparat dont la lame, sub-rectangulaire, est en fer (figure 1). Une douille en cuivre a été coulée autour de cette lame par la technique de la cire perdue. Elle est ornée d’incrustions en électrum (alliage or-argent) et présente deux têtes de lions crachant la lame et un sanglier au dos de la douille. Cet objet est daté du Bronze final vers 1350 av J-C. Lors de sa découverte Schaeffer avait publié des analyses avec une teneur en nickel de 3.5 % et en avait conclu qu’il s’agissait de fer terrestre. Nos analyses récentes au musée d’Alep montrent que la teneur en nickel varie entre 2 et 7 % et qu’il s’agit sans aucun doute de fer météoritique contrairement à l’opinion initiale de Schaeffer.

Figure 1 : La hache d’Ougarit. On notera la richesse de l’ornementation de la douille en cuivre incrustée d’électrum.


25. La dague de Tutankhamon (Egypte).

La dague de Tutankhamon possède une lame en fer dans un état de conservation exceptionnel ; le manche est orné d’or avec un pommeau en cristal de roche. Elle a été trouvée dans les bandelettes de la momie ce qui indique qu’il s’agit là d’un des objets les plus précieux pour le défunt. Des analyses anciennes avaient révélé une faible teneur en nickel et conduit à conclure qu’il s’agissait de fer terrestre. Des analyses récentes (Comelli et al. 2014) indiquent une teneur de 11 % en nickel et permettent de conclure qu’il s’agit de fer météoritique. D’autres objets en fer parmi le trésor de Tutankhamon sont probablement de même nature mais n’ont pas été analysés. Cette dague a le même âge que la hache d’Ougarit. On notera que des échanges épistolaires entre le pharaon Amenophis III et les rois hittites mentionnent parmi les présents échangés, des dagues à lame en fer.

Dague de Tutankhamon © Daniela-Comelli . 

26. les haches chinoises.

Une première hache datée du 14ième siècle avant J.-C. (dynastie Chang) présente une structure comparable à la hache d’Ougarit : lame en fer et douille en bronze. L’étude de Li Chung (1979) ne laisse aucun doute quant à l’origine météoritique du fer. Deux autres haches (dynastie Zhou) ont été décrites par Gettens (1971) et là aussi les analyses indiquent indiscutablement une origine météoritique. La structure est primitive avec une douille en bronze coulée à la cire perdue autour de la lame. Elles datent d’environ 1000 avant J.-C. et on peut donc discuter de leur attribution à l’Age du Bronze. En Chine l’Age du Fer est un peu plus récent mais on pourrait penser à la possibilité d’échanges commerciaux avec les régions plus à l’Ouest où la métallurgie du fer était alors connue.


3. Quelques mots sur les météorites de fer.

Il existe plusieurs grands groupes de météorites. Les chondrites, ou météorites primitives sont constituées de minéraux silicatés essentiellement, et 0-15 % de petits grains métalliques (alliage fernickel). Elles représentent environ 90 % des chutes connues. Les météorites différenciées comprennent deux groupes essentiels, les achondrites qui sont des roches silicatées exemptes de métal et présentant le plus souvent une composition basaltique (au sens large) et les fers qui sont des alliages fer-nickel contenant parfois des inclusions de sulfure et de silicate. Les chutes de fer si elles sont peu nombreuses correspondent à des masses importantes (souvent des tonnes) car elles ont très résistantes à la dislocation lors de leur traversée de l’atmosphère à grande vitesse. Tous les cratères d’impacts pour lesquels on a retrouvé des restes de météorite sont associés à des fers. Il est intéressant de considérer quelques éléments de statistiques. Les météorites tombent au hasard à la surface de la Terre. On devrait donc trouver partout les mêmes proportions des différents types de météorites. On a donc pris en compte quinze catégories de météorites trouvées en Antarctique d’une part et en Afrique du Nord-Ouest (NWA) d’autre part.

Figure 2 : Un des morceaux de la chute de Morasko en Pologne pesant plusieurs centaines de kg.

Si on exclut les fers on observe que les effectifs dans ces deux domaines sont cohérents c’est-à-dire que les proportions entre les différents types sont respectées aux variations aléatoires près. Si on considère les fers, on constate un très fort déficit pour les NWA. L’explication la plus plausible est que ces météorites ont été récoltées comme minerai de fer, même si l’on ignore totalement l’époque à laquelle cette récolte a eu lieu.

Figure 3 : Un bloc de Morasko après sciage montrant que ce fer contient quelques inclusions mineures.

Figure 4 : La comparaison des effectifs pour l’Afrique du N-O et l’Antarctique pour diverses catégories de météorites, indique une bonne proportionnalité pour tous les types, sauf pour les fers. Les ellipses correspondent aux fluctuations statistiques attendues.


4. L’altération des fers météoritiques


La première approche pour identifier le fer météoritique dans les objets en fer de l’Age du Bronze, consiste à considérer la composition du métal. Or on a pu observer que nombre d’objets en fer présentent un déficit de nickel à leur surface ainsi qu’une composition variable selon les points d’analyse. On peut ainsi montrer que la surface des météorites oxydées est appauvrie en nickel. Il en est de même mais à un degré plus avancé pour les objets archéologiques en fer qui souvent sont très fortement corrodés. Lors de l’altération de surface, le métal est transformé en oxyde de fer (fer trivalent) totalement insoluble. Le nickel lui est moins fortement oxydé, il reste divalent et donc légèrement soluble dans l’eau. Au bout de quelques milliers d’années d’altération, la surface rouillée des objets de fer se trouve appauvrie, parfois totalement, en nickel. Cela explique les variations de composition et le déficit de nickel à la surface d’objets qui selon d’autres critères sont bien en fer météoritique. La mauvaise reproductibilité est en général liée au prélèvement car on essaie de ne pas endommager l’objet en prélevant un fragment de rouille qui a bien voulu se détacher. Les archéologues ont pendant longtemps ignoré cette difficulté. On peut donc conclure que la présence de nickel à plus de 1 % est un argument très fort de l’origine météoritique. Pour les très faibles teneurs il faut rester prudent.


5. La distinction entre fer terrestre et fer météoritique.


La composition chimique permet d’aller plus loin dans l’interprétation. Si on considère les proportions relatives des trois éléments Fe Co Ni (fer, cobalt, nickel) présents dans le fer météoritique on constate que lors de l’altération si les concentrations de Co et Ni varient elles restent cohérentes. Au contraire dans les minerais de fer terrestres, ces proportions sont très différentes avec de faibles abondances pour le nickel et le cobalt, ce qui permet de discriminer fer terrestre et fer météoritique.

Figure 5 : Les compositions des fer météoritiques frais et altérés présentent une belle corrélation dans le diagramme Ni/Co en fonction de Ni. Les points d’analyse de la hache d’Ougarit (carrés rouges) tombent sur cette même corrélation. Les compositions des minerais latéritiques s’en éloignent nettement.

Nous avons déjà mentionné que des minerais de fer développés sur des péridotites par altération pouvaient contenir du nickel en quantité. Nous avons examiné cette possibilité plus en détails. Dans un profil d’altération on trouve à la base la péridotite à peu près saine qui contient environ 10 % d’oxyde de fer et 0.2 % d’oxyde de nickel. Lorsque l’on remonte dans le profil on rencontre des roches de plus en plus altérées par lessivage de tous les éléments solubles. A la fin il reste à la surface, de l’oxyde de fer quasiment pur et pauvre en nickel formant une cuirasse de couleur rouille.
Un peu en-dessous la roche est jaunâtre et contient 1-2 % de nickel ; c’est cette roche qui constitue parfois le minerai de nickel mais pas le minerai de fer car à ce stade, cette roche contient encore une quantité de silice appréciable. On voit sur la figure 5 que les points représentatifs des objets de fer de l’Age du Bronze et les météorites se superposent sur une même corrélation alors que le nickel est variable (résultat de l’altération). Les points représentatifs des latérites au contraire sont situés bien en dehors et les fers de l’Age du Fer se placeraient autour de l’origine des coordonnées.


6. L’analyse des textes


Nous avons mentionné que l’invention de l’écriture au Proche-Orient date de l’Age du Bronze.
Nous avons donc un certain nombre de textes qui mentionnent l’existence du fer. On y apprend ainsi que l’idéogramme désignant le fer en assyrien (réutilisé dans les autres écritures cunéiformes) signifie le métal du ciel. D’autres éléments indiquent que la relation entre fer météoritique et météore (le phénomène lumineux dans le ciel) était bien établie. Les textes les plus abondants ont été retrouvés en Anatolie (colonie assyrienne de Kanes et empire Hittite) mais on en trouve aussi à Mari (Syrie), Ougarit (Syrie), Ebla (Syrie), etc. Le fer à cette époque est le métal le plus précieux puisqu’il vaut environ 10 fois le prix de l’or. Les objets en fer mentionnés dans les textes sont toujours des objets précieux (bijoux variés, quelques armes, des objets de culte) et jamais des objets utilitaires comme ce sera le cas à l’Age du Fer. Les présents royaux sont parfois des objets en fer.
Un texte particulièrement intéressant a retenu depuis longtemps l’attention des archéologues. Il s’agit d’une lettre d’Hattusil III (roi Hittite) à Adad Nirari (roi d’Assyrie). L’expéditeur répond à un souhait de son correspondant, s’excusant de ne pas avoir de « bon fer » disponible dans ses réserves. Ce n’est pas la saison de fabriquer du fer. Il en enverra dès que celui-ci aura été élaboré ; en attendant il expédie à son correspondant une lame de poignard en fer.
Les points importants sont 1) que l’on distingue deux sortes de fer et 2) que l’approvisionnement en fer peut être problématique. 3) Les deux sortes de fer sont valeureuses sinon elles ne pourraient pas constituer un présent royal.
Les archéologues ont proposé plusieurs interprétations de ce texte : le « bon fer » pouvait être de l’acier et l’autre du fer ordinaire ou bien plutôt l’un (lequel ?) du fer météoritique et l’autre du fer terrestre. Nous pensons que ces interprétations ne tiennent pas pour les raisons suivantes.
– Nous savons qu’à cette époque le fer météoritique a été utilisé. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle sa valeur était aussi élevée, et qu’il pouvait constituer un présent royal.
– Le fer terrestre peut être exclu, car la découverte de son traitement (à l’Age du Fer) va conduire à un effondrement du cours du métal qui sera fabriqué en quantité. Il n’est donc pas réaliste de considérer que le fer terrestre puisse constituer un cadeau royal.
Nous proposons que les deux qualités de fer soient du fer météoritique. Lorsque les hommes ont compris la relation entre météore, météorite et fer, ils ont dû courir après chaque chute pour retrouver les morceaux le plus rapidement possible vu le coût astronomique (sans jeu de mot) du matériau. Dans 90 % des cas ils ont dû déchanter car seules 10 % des chutes sont des fers. Oui mais ! Les chondrites contiennent du fer sous forme de petits grains métalliques et vu la valeur du fer cela valait la peine de faire des efforts pour le récupérer (pour comparaison, les minerais d’or économiquement exploitables contiennent aujourd’hui de 1 à 20 g par tonne). On pouvait concasser la météorite, séparer le fer par densité puis ré-agglomérer le fer ainsi obtenu dans un four. Bien évidemment la séparation n’était pas parfaite et la qualité du métal obtenu n’était pas la même que celle des fers dont le métal était pur et nécessitait juste une mise en forme. Cette hypothèse n’a jusqu’ici jamais été proposée mais c’est cependant la plus plausible.



Conclusions

Les objets en fer de l’Age du Bronze au Proche-Orient montrent, lorsqu’ils ont été analysés, qu’ils sont constitués de fer météoritique. Le passage à l’Age du Fer correspond bien à la découverte de la réduction des minerais de fer (oxydes) par le carbone pour fabriquer du métal. L’altération du fer météoritique conduit à une perte plus ou moins importante du nickel qu’il contient, mais la relation entre fer, cobalt et nickel permet de distinguer l’origine du métal dès que la teneur en nickel dépasse 1 %.
L’utilisation de minerais de fer péridotitiques ne permet pas d’expliquer les teneurs en nickel observées dans les objets de l’Age du Bronze et l’absence de nickel dans ceux de l’Age du Fer. La métallurgie du fer à partir de minerai nécessite un premier épisode de réduction par le carbone dans un bas fourneau. Dans un deuxième stade le produit obtenu, riche en impuretés, devait être purifié par martelage à chaud, un travail fastidieux conduisant à un matériau de piètre qualité.
C’est l’épisode du bas fourneau (la réduction par le carbone) qui a été révolutionnaire puisque le travail du métal à chaud était déjà connu à l’Age du Bronze.


Albert Jambon

Article offert aux lecteurs du Bulletin en mars 2017

Note ajoutée : L’auteur n’a pas donné de bibliographie car il est aisé, aujourd’hui, de rechercher des compléments d’information sur le Net, en voici un exemple : http://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/maps.12664/pdf

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