Une courte histoire des cristalliers du Massif

Par Éric Asselborn.


Cristallier?Le terme de cristallier est un très ancien mot de la langue française ; les cristalliers étaient les lapidaires qui facettaient le cristal de roche [cc1260]. Saussure nous en donne la définition chamoniarde du XVIIIèmesiècle : c’est le nom qu’on donne à ceux qui gagnent leur vie à la recherche du crystal.  
  • La préhistoire

Dans les Alpes, l’emploi du cristal de roche est attesté pour les Mésolithiques, chasseurs d’altitude, particulièrement dans le bas Valais et dans les Savoie ; ils l’exploitaient pour la fabrication d’outils et d’objets, voire comme un minerai pour fabriquer du verre.

[Mésolithique: – 6500 avant J.C.; Néolithique ancien (les premiers pasteurs) : à partir de 5000 avant J.C.; Néolithique moyen: -4500 à 3200 avant J.C.; Bronze ancien : -2300 à 1600  avant J.C.] 

  • Les gallo-romains

Le cristal de roche est d’abord le symbole de la loyauté, de la modestie et de la candeur.

Puis le cristal de roche lapidé devient le symbole de luxuria  et deliciae. Livie doit dédier au Capitole, le fameux bloc de cristal de roche de 50 livres, en dédommagement d’actions criminelles ; on sait aussi la furor de Néron, qui, à l’annonce de sa chute, casse deux coupes en cristal, pour en priver ses contemporains… 

  • Ceutrons et allobroges  

Le plafond du temple de Mythra à Martigny est tapissé de blocs de quartz.

Certains auteurs ont voulu séparer les « primitifs » ceutrons, ramasseurs de cristaux, des « différenciés » allobroges, lapidaires… 

  • Au Moyen-Âge

Si Charles Vallot ou Paul Payot évoquent des cristalliers médiévaux, rien ne permet aujourd’hui d’affirmer leur existence. Les textes juridiques, les chartes médiévales, les statistiques ne citent jamais le cristal de roche.  

  • A la Renaissance

En Savoie, certains lettrés savent même l’existence de cristal dans le Massif : Paradin, en 1552, dans son texte sur les Glaces prodigieuses précise aussi qu’il s’y trouve du Cristal de deux sortes : l’une est pure, claire, & luisant,& s’en trouve des pierres souvent de telle grosseur, qu’elles sont bien du poix de vingt & trente livres… l’autre espèce est fort diaphane & transparant, mais il est de couleur susque, de manière que les lapidaires affronteurs et imposteurs les vendent pour aimatistes.  

  • Au XVIIème siècle

En 1640, François Ranchin écrit d’une manière nouvelle : le cristal se trouve parfaitement beau dans les glaciers du Haut Faussigny et de la Val d’Aoste, d’où les habitants le portent à Milan, là ou il est travaillé mieux qu’en aucune partie du monde. (in Le Monde, ou la Description générale de ses quatre parties, Paris, 1643 ; avant 1635, il a remonté la vallée de l’Arve, au moins jusqu’à Bonneville : c’est donc un écrit de première main)

On doit à Le Pays, dans une lettre datée du 15 mai 1669, une remarquable description de la vallée de Chamonix, et particulièrement de l’activité des cristalliers ; il précise que l’on y trouve une glace que l’on peut appeler perpétuelle … Les feux de cinq à six mille canicules, ny les eaux du Déluge universel n’ont pas eu la force de la fondre, si ce n’est en quelques endroits, où l’on trouve souvent du cristal et des pierres précieux. Mais pour dire vray, il est dangereux de les y chercher. Les curieux et les avares y sont souvent accablez en Esté sous la ruine des neiges qui s’éboulent.  

En 1674, Henry Justel écrit à la Royal Society de Londres : il précise qu’il y a une autre montagne prés de Genève, et sur les Alpes. Un certain père capucin me dit avoir été sur la plus haute de ces montagnes avec un marchand de cristaux, lequel ayant frappé de son marteau un rocher, entendit qu’il sonnait creux, y fit un trou d’où il retira une substance semblable au talc , ce qui pour lui décelait la présence du cristal. Après quoi il fit exploder un grand trou au moyen de poudre à canon et trouva du cristal au fond.

Ce texte remarquable évoque pour la première fois le massif en Grande-Bretagne, précise les techniques de prospections, cite la présence de talc ou chlorite, note l’utilisation de l’explosif, et confirme indirectement l’existence d’un commerce du cristal à Genève ! 

Joseph Paccard, dans un rapport à l’intendant (1759), fixe aux années 1650 le démarrage de l’activité « en grand » des cristalliers.

Les règles qui prévalent aujourd’hui, à savoir activité surmédiatisée et quasi-mythique, bilan économique négligeable, sont déjà à l’œuvre à l’époque. 

  • XVIIIème : Whindham

On sait que Whindham et Pococke (1741), puis Martel viennent à Chamonix pour « voir les cristaux ». 

XVIIIème : Turin-Chamonix Les courriers des Intendants du Faucigny, de 1752 à 1792, contiennent de nombreux écrits relatifs à l’activité des cristalliers du massif. Ils témoignent des demandes pressantes de cristal par Nicolis de Robilant, via les officiels du gouvernement Sarde ; Joseph Paccard fait office de correspondant dans la vallée. Les récoltes sont maigres et les spécimens « petits ».   XVIIIème : Bozon & Simond  Le 30 juillet 1753, Paccard peut annoncer une bonne nouvelle : je dois avoir l’honneur de vous informer…qu’un particulier de la passe de Chamonix et un autre de Vallorcine ont fait une découverte de beaux cristaux  ; un grand four a été découvert par Balthazard Simond et Pierre Bozon, dans une zone située derrière le lieu de Chamonix…sur la sommité  d’une montagne (à La Charpoua ). 
  • XVIIIème : Chamonix – Chamonix

L’extraction des cristaux est à l’époque fort aléatoire, et il semble évident que la majorité de la production n’est pas proposée à Turin, soit, le plus souvent, parce que les individus sont trop petits, soit parce qu’une forte majorité de cristalliers souhaite les vendre (plus cher et … discrètement) directement aux visiteurs et autres touristes. 

  • Vers 1770.

Michel Paccard [1733-1812] et François [1737-1819], qui sont parmi les premiers guides de l’histoire, contrebandiers et jacobins, inventent le commerce naturaliste.

Michel livre au roi de France ses plus beaux cristaux et un bouquetin vivant…

1780-1820 : la frénésie

La demande naturaliste est très forte : les chamoniards font face à la demande ; les hommes laissent les travaux des champs aux femmes, les enfants et les pauvres courent les moraines, les guides naturalistes cristalliers s’aventurent dans le massif.

Le cristal-souvenir devient la norme ; le débit est rythmé par Napoléon. 

  • Vers 1850.

JMC et Auguste Balmat sont les deux derniers grands guides à l’ancienne, avant l’invention de l’alpinisme acrobatique par Mummery.

Vers 1850, JMC vend 5000 francs de cristaux par an.

Le sentiment naturaliste disparaît progressivement. 

  • Vers 1900.

L’activité des cristalliers est erratique.

Ils profitent pourtant d’un nouveau champ de prospection : le bassin d’Argentière, inventés par les cristalliers et guides Munier ou Charlet d’Argentière.  

Les guides naturalistes sont les auxiliaires des géologues et des glaciologues.

Leur travail est bien connu grâce aux descriptions du grand alpiniste Fontaine. 

Le goût pour la collection de minéraux disparaît en 1914.

Il persiste à Chamonix un « bruit de fond », mais Paul Payot écrit en 1950 que le métier s’est perdu!

Il renaît à la fin des années 60, sous l’influence des collectionneurs américains.

L’alpinisme acrobatique mis au service du ramassage des cristaux change la donne.

Photo: P. Raphoz

 

Photos: Frédéric Eva.

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